Troisième âge
Tourné la même année que son chef d'oeuvre Suzaku, The Weald est une courte autopsie des gens de la campagne, celles et ceux qui travaillent d'arrache pieds dans la forêt même les 80 ans tranquillement dépassés. Les gens "moyens" filmés par Kawase sont aussi bien des vieilles personnes seules que d'hommes qui ont vécu "quelque chose" dans leur passé et ce qui ressort souvent de ce documentaire tourné dans des conditions techniques meilleures que celles de ses précédents, c'est cette phrase qui revient souvent : "j'aimerais renaître, j'aimerais revenir à mes 18 ans", témoignage des dures conditions de vie. En parallèle, cette vision opérée par Kawase nous montre des corps durs et fébriles, mécaniques rouillées mais huilées parce qu'il faut survivre dans cette société en proie aux changements et à l'abandon de plus en plus forts des anciens perchés dans les montagnes. On y voit des vieillards toujours là, guère résignés face à leur destin déjà tout tracé en attendant l'heure fatidique de rejoindre les ancêtres. The Weald se centralise dans sa première moitié sur l'histoire d'hommes et de femmes attendant de mourir, mais leur abnégation fait qu'ils sont encore là. Kawase Naomi entrera dans l'intimité de plusieurs d'entre eux (comme ce bûcheron avec pour seul compagnon un petit chien) dans un pur soucis d'analyse et non de complaisance ou autre jouissance malsaine acquise depuis des années de documentaires techniquement moyens mais en sans cesse amélioration.
Cela fait d'ailleurs du bien de voir enfin un vrai documentaire avec The Weald, et qu'importe si son intérêt est à remettre en cause, les protagonistes ne sont plus masqués par l'ombre de la caméra Super-8 de Naomi et le micro preneur de son ne franchit plus le cadre. Merci madame. Le sujet démontre avec une certaine austérité le travail d'une poignée de gens normaux pour avancer dans la vie et qu'importe si cette vie doit s'arrêter à cause de la vieillesse ou de l'absence trop douloureuse d'un proche. Le style de Kawase ne transpire pas comme à l'ancienne, tout juste les quelques plans sur les herbes rappellent combien la nature, sa nature, vaut chère. Mais tout de même, le profil de Kawase reste encore un mystère dans la mesure où le gouffre entre ce documentaire-ci et Suzaku (Caméra d'Or au Festival de Cannes la même année) s'avère tout bonnement gigantesque aussi bien en terme de qualité de narration, de fluidité et d'idées de mise en scène. The Weald appartient bien plus à la catégorie des premiers essais de son auteur qu'aux grands récits sur le deuil et sur la naissance auxquels nous aurons à faire dans les années à venir. Dernier recueil de témoignages graves sans être pour autant poignants (d'où une légère déception sans doute due au traitement général assez moyen et trop terne) sur les "vieux de la société", après les essais persos réalisés depuis 1992, The Weald annonce clairement un renouveau de la part d'une cinéaste qui marquera sans faire trop de bruit le cinéma japonais et le cinéma mondial. Rien que ça.