Film sympathique et divertissant
Très peu orginal dans sa mise en scène, on sent très nettement que Triple Cross s'inspire des films d'actions américains des années 80, avec ses poursuites fun et sa musique électronique bien kitsch. L'histoire est une succession de saloperies que se font les voleur d'un paquet de pognon, ne voulant pas se partager les recettes. Les événements sont tout bien pensés tout le long, de manière à ce que l'on ne s'attende pas à recevoir ce qui nous attend, ce qui est plutôt agréable. Bonne interprétation également. Au final, quelques longueurs tout de mêmes et aussi un peu de surplus sur certains passages, notamment lors des poursuites. Enfin, bon divertissement.
23 février 2006
par
Elise
Back to the roots...
En 1992, le renouveau du cinéma de genre est porté par John Woo et Kitano Takeshi et un dénommé Tarantino commence à pointer le bout de son nez. Le point commun de tous ces cinéastes de grand talent: avoir été admirateurs dans leurs jeunes années du cinéma de Fukasaku Kinji. Or c'est précisément cette année-là que choisit Fukasaku pour revenir au polar, genre qu'il a révolutionné, après avoir cachetonné pour des productions commerciales et parfois impersonnelles durant les années 80.
C'est ce qui fait que the Triple Cross ressemble à la reprise de certains effets de signature (réalisation, direction d'acteurs) dans le cadre d'un divertissement grand public après des années de cinéma mercenaire. On ne retrouve plus en effet les thèmes de Fukasaku (critique du miracle économique japonais, des liens mafia/classe politique) dans the Triple Cross. Fukasaku met simplement son savoir faire et son talent de directeur d'acteurs au service d'un polar bien fait et efficace. Dès le générique, on est rassuré de retrouver les fameux cadres penchés, les caméras portées virevoltantes et les téléobjectifs délirants qui n'ont rien perdu 20 ans après de leur audace et de leur modernité et ils ne seront pas abandonnés durant le film. Fukasaku n'a également rien perdu de son talent à dépeindre une gallerie de personnages hauts en couleur: le jeune loup péroxydé, le chanteur de heavy metal, la membre du gang hystérique portant un loup. Dans the Triple Cross, une femme terrorise une bande de motards avec une simple lame de rasoir, un gang se retrouve ridiculisé en trouvant dans le butin des écrous à la place de pièce de monnaie. Cette force parodique se retrouve dans le tenues pittoresques des personnages ainsi que dans un jeu d'acteurs outré portant la marque de Fukasaku. Les prestations de Sonny Chiba et Ishibashi Renji sont paticulièrement convaincantes et chaque acteur se démène pour faire exister des personnages très cartoonesques sans sombrer dans le grotesque.
Un des grands thèmes du film est la confrontation des générations, où l'on devine que Fukasaku prend le parti des anciens, de leur boulot efficace et sans fioritures contre des jeunes trop inconscients ou piégés par l'émotionnel. Fukasaku oppose d'ailleurs les générations en leur attribuant des thèmes musicaux: jazz nostalgique pour les anciens, heavy metal hystérique pour la jeunesse. Un peu comme les héros du film, Fukasaku veut se mesurer à la jeune garde du cinéma de genre pour lui montrer qu'il n'a pas perdu la main, qu'il faut encore compter avec ce papy électrisé faisant ici preuve d'une phénoménale envie de filmer. Dans cet esprit, les citations wooiennes (deux précautions valent mieux qu'une) sont un clin d'oeil amusé du maitre à l'un de ses fans les plus inspirés à une époque où le cinéma hongkongais est très fort commercialement au Japon. Une des autres qualités du film est de ne jamais se relacher au niveau rythme durant près de deux heures et de ne pas oublier d'offrir des cascades et des courses poursuites bien exécutées. Fukasaku se recollette ainsi avec talent au polar d'action. La limite de la chose, c'est que ça ressemble à un téléfilm hollywoodien réalisé par un cinéaste digne de ce nom, pas mal mais pas de quoi soutenir la comparaison avec les chefs d'oeuvre seventies du bonhomme.
Mais le film culmine dans un beau coup de théatre final; Spoilers après une course poursuite, on croit l'un des héros mort et ruiné mais il va ressurgir certes dans un état déplorable mais toujours là et toujours plein de hargne (je n'en dis pas plus). Fukasaku s'offre ainsi en conclusion une métaphore de sa situation: alors que l'on disait son inspiration à terre, il revient en éternel increvable montrer à la relève qu'il peut la concurrencer sur son propre terrain tout en restant lui-meme. Fin Spoilers Pas un come back fracassant comme le sera Battle Royale mais le petit plaisir de retrouver le Fukasaku que l'on connaît.
Du cinéma calibré et alerte
Il serait fort dommage de cracher dans la soupe en s'essayant à The Triple Cross de Fukasaku Kinji. Autant le film n'a pas l'aura dénonciatrice et virulente de ses meilleurs films dans les années 70, genre qu'il survolait avec la grâce des maîtres du pessimisme social, autant il s'avère être un spectacle calibré pour un public d'adolescents en manque de sensations fortes depuis la crise économique du Japon, industrie qui ne prend pas encore tout à fait l'eau quand on sait que des cinéastes comme Fukasaku, Kurosawa, Gosha ou Imamura confirment au fil des ans l'étendue de leur talent depuis le milieu des années 80 jusqu'au début des années 90 et que des Kitano ou Miike commencent à faire gentiment parler d'eux. The Triple Cross n'est pas LE film qu'il faut voir d'un Fukasaku, parce qu'il n'est éclatant qu'au rang de pur divertissement plutôt que pour ses charges explosives politiques amorcées pour caricaturer le gangstérisme, et ce malgré l'apport une nouvelle fois court mais formidable d'un Chiba amorçant quant à lui les charges explosives d'un cinéma de genre bariolé, parfois lourdingue car gueulard, mais d'une générosité bien légitime : cabotinage et grandes figures héroïques côtoient la peur d'échouer ou la peur du "trop plein", dans une séquence notamment où Imura perd les pédales face à une montagne de billets. Fukasaku expédie une torpille au spectateur pour lui montrer ou lui faire prendre conscience, si ce n'est déjà fait depuis des années, que l'argent régit tout dans une société qui ne vit que pour ça, le film tournant au tour du thème fric/guns et rock'n roll, l'essence même de la société actuelle avec l'essor des grands groupes de rock japonais sous influence mais précurseurs de leur temps comme X-Japan, Zard ou guère plus tard L'arc~en~ciel. Le rock est d'ailleurs le moteur du bouleversement économique et social japonais, car tandis que les figures plus âgées sont accompagnées d'un style jazzy (cuivres et harmonica) qui donne tout leur sens aux termes "amertume", "nostalgie" et "valeurs" qui tendent à s'oublier avec le temps, le rockn’ roll est la signification même de la nouvelle génération qui prend place, celle du jeune gangster blond Kadomachi et de sa moitié punk Mai eux aussi avides de machine guns, de billets verts et d'amusement féroce : course poursuite avec la police, jeux dangereux, règlements de compte comme s'ils avaient 25 ans de métier, un portrait explosif peint par un Fukasaku qui n'a pas oublié toute son artillerie pour mettre en scène ce polar soigné et particulièrement efficace.
On retrouve effectivement l'essentiel de son cinéma qui se passe ici de cinémascope pour épater la galerie, et puis ce format n'est plus à la mode à cette époque-ci (quand bien même Gosha abandonnera lui aussi ce même format au milieu des années 80) et Fukasaku n'est pas du genre à faire dans l'épate puisque son cinéma est viscéral, codifié certes mais toujours aussi moderne et peut franchement se passer d'une belle robe pour évoquer ses propos : The Triple Cross c'est du cinéma d'action au sens propre, toujours véloce sans être expéditif, du cinéma où les hommes s'entraident même dans la merde la plus profonde, car même si Chiba se prend deux bastos dès les premières vingt minutes, et que dans un certain sens il est condamné quoiqu'on en dise, Fukasaku le préserve dans une bulle, soigné par un ami d'un de ses amis : l'entraide, même si l'on peut avoir la police aux fesses, on aide les copains. Le sens de l'honneur, des valeurs du yakuza qui se perdent mais qui y font presque écho, en dehors de l'absence ici d'une obligation de gagner la guerre des clans, ici, seul l'argent compte. Fukasaku, à un âge avancé mais encore bien sur ses jambes propose également des cascades bien exécutées voir surprenantes notamment cette séquence en fin de métrage où le 4x4 de Kanizaki se la joue monster truck face à la quantité colossale de voitures de police déployées. Et qu'importe si esthétiquement le film n'est pas fabuleux, le polar japonais du début des années 90 n'est en effet pas celui du milieu des années 60, celui que l'on connaissait de chez Shinoda, Kurosawa, Suzuki ou Gosha, et s'avère très terne, idem chez Kitano à la même époque, l'essentiel est de trouver autre chose pour contrecarrer cette carence, Fukasaku a tout compris.