Time waits for no one
La traversée du temps est une attachante combinaison de plusieurs thèmes porteurs (amitié, amour, sens de la vie, mise à profit du temps qui passe, destin et conséquences de ses actes, et même science-fiction), mêlant intelligemment mélancolie, humour et situations truculentes à travers un excellent scénario qui contient un nombre de rebondissements suffisant pour tenir en haleine jusqu'à la fin. C'est, au demeurant, une très convaincante démonstration par l'absurde qu'il n'est pas nécessaire de tirer des plans sur la comète sur le futur ni de se prendre la tête inutilement, mais qu'il faut plutôt prendre la vie comme elle vient, savoir profiter de chaque instant et prendre des risques.
Subtile et très bien mise en musique, voici une belle réussite d'un réalisateur prometteur.
Belle réussite du studio Madhouse
Une belle réussite d'Hosoda que cette traversée du temps. Avec ses faux airs de drama animé (entre le Shojo et le Shonen) et d'expérience SF pas si radicale mais bien fichue, cette belle aventure d'une jeune lycéenne (Makoto) victime de ses propres maladresses propose un contenu suffisamment riche et captivant pour asseoir sa réputation de bon animé n'ayant en rien volé son prix du Jury au dernier festival d'Annecy. Et pourtant, rien ne démarque réellement La traversée du temps d'un Shonen/Shojo format télévision, à savoir ce chara-design sans gros géni et au trait de crayon grossier (non sans rappeler celui de Amer Béton) qui ne fera sûrement pas l'unanimité auprès de ceux et celles qui ne croient qu'en Miyazaki Hayao, et cette succession de moments rose bon-bec certes très drôles, mais sans grande originalité. Mais Hosoda s'accapare un univers parfaitement cohérent et d'une logique implacable, peuplé de personnages rapidement identifiables (des jeunes amateurs de baseball, un souffre-douleur d'un lycée, un professeur bien sapé), charismatiques et grandes gueules. Une Makoto géniale et pleine de vie, Chiaki et son histoire plus que mystérieuse, Kusuke et son attirail suffisamment lourd pour faire tomber de la demoiselle, sans aucun doute le trio gagnant de cette année.
Mais l'attrait principal de l'oeuvre d'Hosoda, comme son nom l'indique, c'est la traversée dans le temps grâce au pouvoir de Makoto transmis par une petite coquille (ou noix) qui lui permettra de gérer au mieux l'Histoire avec un grand H. Sorte de portail spatio-temporel plutôt laid (et heureusement très court), aux répercutions importantes puisque cette "faille" ou simple "traversée" permet à son utilisatrice de changer le cours des choses, de la simple histoire d'amour au sauvetage d'une vie. Okudera Satoko réussit alors le pari de mélanger avec un certain talent les pures séquences d'amour et d'humour, toujours avec ce souci de cohérence, jamais prise en défaut par la complexité du récit original de Tsutsui Yasutaka. Soulignons aussi la superbe bande-son de Kiyoshi Yoshida qui contribue grandement à la réussite du film, le doublage souvent dégénéré (mention pour la petite Makoto) et la sensibilité de certaines séquences (la soeur de Makoto la suppliant de ne pas se suicider, les déclarations d'amour ratées de Chiaki, les accidents de vélo mortels évités in extremis). Touchant, drôle et plutôt joli, La traversée du temps est un vent de fraîcheur parcourant une année 2007 jusque là plutôt terne.
Makoto prix d'interprétation et Osada meilleur premier film 2006
La traversée du temps nous fait découvrir un nouveau nom marquant dans le cinéma japonais, car si ce film est d'animation, il est avant brillamment écrit et réalisé. L'animation pure n'est d'ailleurs pas sa plus grande réussite, comme nos deux spécialistes Astec et Shubby le relèvent précisément. Makoto est effectivement un peu grossièrement dessinée, avec des grimaces lorsqu'elle pleure peu conformes à la grâce que tout spectateur prête à une lycéenne japonaise.
A cause de cela, sur photo arrêtée on dirait, La traversée du temps semble mineur. Et pourtant, ses moments de poésie sont de ceux qu'on ne trouve que dans un film d'animation japonais : le temps y est ainsi matérialisé par des horloges géantes et tunnels hypnotiques. Ce n'est pas Mind Game dans le niveau de délire, mais ça lui arrive à la cheville tout de même. La scène ou Makoto et Chiaki dialoguent dans un Tokyo arrêté, au milieu des personnages figés, est particulièrement touchante. Seuls ces films, enfin, jouent du son jusqu'à oser le silence total, juste brisé par une voix ou une respiration que l'on écoute alors les oreilles et le coeur grand ouvert, hypnotisés. La réalisation a bien une finesse héritée de celle du grand maître Takahata, elle semble notamment avoir tiré des leçons de la fabuleuse chronique Souvenirs goutte à goutte et a de l'ampleur comme chez Satoshi Kon, pour la touche métaphysique et existentielle. Soit les deux meilleurs "purs" réalisateurs du cinéma d'animation japonais, c'est à dire ceux qui sont avant tout des metteurs en scène, n'en déplaise à Miyazaki et Oshii, chers poètes foutraques, mauvais en narration. Le film est cadré comme on aime que le soit un film asiatique, c'est à dire avec une variété de plan dont plusieurs de très loin, faisant une part plus belle au ciel et à l'espace que n'importe quel film occidental. Le film se plante effectivement sur sa fin pour midinettes et aurait pu mieux développer certaines de ses thèmes, mais la force de certaines idées reste, car même banalement dessinée, Makoto est très attachante.
Il faut ici rappeler au spectateur éventuellement dubitatif que La traversée du temps est parfois hilarant, d'ailleurs la salle où j'étais était régulièrement pliée. On jubile ainsi de voir Makoto s'éclater à refaire dix fois sa journée, comme Bill Murray dans ses premiers Jour(s) sans fin. Juste après, on est aussi bouleversé que hilare de voir notre Makoto trouver la grande limite à son procédé : entendre dix fois Chiaki lui demander d'être sa petite amie ne lui donne pas plus de réponse, car son problème n'est pas l'effet de surprise, mais le choix de ses sentiments. On partage des conneries, comme la joie de pouvoir enfin manger son super flan, qu'elle s'empiffre en faisant le tour de la maison, et ses cultissimes atterrissages à chaque voyage dans le temps, des culbutes en roulé boulé, figure de style qu'elle affectionne puisque c'est aussi en roulant sur son lit qu'elle va chercher son téléphone portable. C'est ce genre de détails qui fait un grand rôle. Si le personnage était en "live", on aurait dit que cette Makoto était interprétée avec un de ces naturel qui décrochent un prix d'interprétation.
It's just a question of time (refrain connu)
Une gamine voyage dans le temps à des fins vénales, simples, et elle (on) s’amuse de petits riens. On n’échappe pas ici aux Battements d’ailes du papillon, pas plus qu’à un Retour vers le futur, et encore moins à Un jour sans fin. Depuis, Bill Murray s’est perdu dans la traduction, quant à Scarlett, elle se fait désormais appeler Makoto.
Adaptant et s’inspirant lui aussi de l’écrivain Yasutaka Tsutsui, Mamoru Hosoda est forcément amené à ce que son travail soit comparé à celui de Satoshi Kon, que ce soit sur le traitement des ellipses ou dans sa façon de représenter une jeune fille en train de courir, éperdue, sur le bitume. C’est une marque de fabrique. Dans ces deux cas, Hosoda s’en sort plus que correctement, combinant très adroitement son personnage et sa mise en scène, l’un mettant en valeur l’autre et réciproquement. Comme Kon. Lors d’une des nombreuses courses passionnées de Makoto, un long travelling suit son visage d’une lecture japonaise droite-gauche - ce qui peut déstabiliser un occidental habitué à l’inverse-, un travelling fixé sur une certaine vitesse, une cadence que l’adolescente ne peux pas suivre, vite épuisée. Mais le cadre continue, sans elle, comme pour la motiver à aller de l’avant, comme si, à cet instant précis, il représentait sa volonté d’aller plus loin encore. Et elle le rattrape. Dramatiquement, c’est formidable. La jeune Makoto est pratiquement le seul point de vue de l’œuvre. L’intégralité de son environnement ne fait que graviter autour d’elle. La narration ne se sert qu’épisodiquement de très brefs points de vues étrangers pour mieux la mettre en valeur et nous rapprocher d’elle, un peu plus près, encore plus près, toujours plus près. Lorsqu’elle descend une pente avec son vélo, se rend compte qu’elle n’a plus de frein et tente de freiner avec ses pieds, la caméra suit sa chaussure qui n’aura pas tenu le choc partir dans le décor. Plus tard, quand un autre personnage prend ce même vélo, ce qui nous frappe c’est une chaussure (aïe !), une autre donc, mais en référence directe au premier événement. Elle nous ramène vers Makoto. Lorsque cette dernière court et saute dans les airs pour remonter le temps, un très efficace effet comique de répétition consiste à présenter son saut au second plan, derrière une bande de lycéens médusés. On la voit depuis les autres, et ce public là est épaté. Nous aussi. On part d’elle, on arrive quelque part, et ce quelque part n’a d’yeux que pour elle. Alors on retourne la voir. Constamment. Et on apprend à la connaître, à anticiper ses réactions. Hosoda le sait, à l’ellipse alors d’intervenir pour ensuite sauter un passage inutile, une action déjà assimilée avant même qu’elle n’ait lieu. C’est très agréable comme sensation, vraiment. D’autant que le réalisateur arrive qui plus est à créer une distanciation par rapport à son sujet, obtenant une implication légèrement diminuée lors des scènes de pleurs. Défouloir pour elle, cassure d’émotion pour nous, mais véracité de l’instant indiscutable. On est amusés, attendris, pas bouleversés. C’est mieux ? Peut être. Isao Takahata cautionnerait certainement ce type d’approche.
Ce dessin animé est un excellent divertissement, touchant, gracieux, à peine gêné par l’usage désormais connu du paradoxe temporel, pas plus que par le character design un peu trop passe-partout de Yoshiuki Sadamoto ni par un final à l’eau de rose un peu excessif, clairement estampillé « shojo » et « Gakuen mono »(*). C’est ce qui empêche l’œuvre d’être novatrice, c’est incontestable. Mais sa réussite l’est également, incontestable. Parce qu’elle n’a pas la prétention des nanars de Makoto Shinkai - qui souhaiterait tant parvenir à un tel niveau -, parce que les personnages de cette traversée du temps sont forts... Et parce que Makoto adore le flan! A tel point qu'il lui arrive de vouloir remonter le temps juste pour le sauver des griffes voraces de sa frangine gourmande. Scène hilarante qui se comprend aisément: c'est son flan. On ne touche pas au flan des autres, ça ne se fait pas. Alors ne flinguons pas ce film, un bien beau gâteau concocté par Hosoda et son équipe de pâtissiers, pour le coup tout sauf une bande de tire au flan. Ce qu'il fallait démontrer.
(*) "Shojo" : manga/anime pour jeunes filles. "Gakuen mono" : manga/anime ayant pour toile de fond un cadre scolaire.
A la recherche du temps perdu
Si La Traversée du Temps a connu une carrière festivalière similaire à celle d’un certain Mind Game, mètre étalon dont on ne cesse de vous vanter les mérites sur ce site, ce premier long complètement personnel de HOSODA Mamoru ne parvient pas au même niveau « total » de réussite. Certes, les projets d’animation ne sont pas les mêmes, et de ce point de vue YUASA Masaaki fait preuve, avec Mind Game, d’ambitions formelles beaucoup plus radicales quand HOSODA s’inscrit dans un registre plus classique. La présence au character-design de La Traversée du Temps d’un désormais vieux routier comme SADAMOTO Yoshiyuki, qui s’est plutôt distingué ces dernières années sur des productions TV, ne fait qu’appuyer ce constat et ce d'autant plus qu'on l'a connu plus inspiré (ou bosseur, cf interview du producteur). Il est d’ailleurs assez significatif que la séquence récurrente des sauts dans le temps, qui se prêtait sans doute le plus facilement à certaines prises de risques formelles par son caractère abstrait et fantastique, manque indéniablement d’inspiration, coincée entre tentative de 3D plutôt banale et motifs en 2D tout aussi communs.
Sorti de ces réserves, il n’en reste pas moins que de tous les films de la nouvelle génération projetés en salle cette année, La Traversée du Temps est sans doute celui qui s’en tire le mieux. Plus vivant, plus frais et chaleureux que la redite visuellement « pétillante » de KON Satoshi avec son Paprika aux mécaniques narratives éprouvées. Plus maîtrisé dans sa mise en scène et plus riche en animation que le dépressif Les Contes de Terremer de MIYAZAKI Gorô. Enfin, incontestablement visuellement moins flamboyant que le Amer Béton de Michael ARIAS, La Traversée du Temps est cependant narrativement bien mieux équilibré et cohérent, avec une gestion des rythmes qui donne toute sa saveur aux courses dans le temps, contre le temps, de l’héroïne du film. Et puis, un des mérites essentiels dans l’accueil public chaleureux qui a été fait au film d’HOSODA au Japon, réside aussi dans le choix de l’œuvre adaptée : un roman ultra populaire qui a marqué des générations de jeunes japonaises. Toute l’intelligence dans la démarche du réalisateur, c’est d’avoir remplacé l’héroïne du roman original par sa nièce, confrontant ainsi une nouvelle génération aux mêmes obstacles à l’aune de nouveaux paradigmes culturels... [Ouais, bon, ok, d’accord... on se comprends quoi...]... Un choix finalement validé par la justesse du regard d’HOSODA sur son héroïne et sur son quotidien, le film étant par ailleurs parsemé de séquences lycéennes et d’après-midi ensoleillés très bien mis en valeur par une excellente animation - dans une veine le plus souvent réaliste - des personnages. C'est dans tout ces petits moments que le film réussit globalement son projet de mise en scène, celui de mettre en exergue l'alchimie du quotidien. HOSODA reste ainsi dans la continuité thématique de ses précédents travaux de réalisation. Et si son film manque parfois d'une certaine cohérence formelle, alternant des séquences notablement plus fignolées et inspirées que d'autres, il faut probablement surtout y voir une conséquence des conditions de production particulièrement drastiques pour un film de cette ampleur : 6 mois de production de l'animation pour être calé sur une sortie estivale. Une telle "productivité" dans la qualité mérite mention, même si ce n'est pas une première au Japon (Nausicaa de Miayzaki est dans les même temps par exemple...). Le revers de la médaille est sans doute une multiplication des intervenants pour tenir les délais, et une plus grande "externalisation" de la production de l'animation, donc plus de risques de décohérence formelle. Les 3 directeurs de l'animation ont sûrement eu pas mal de boulot...
Avec juste ce qu’il faut comme pathos, truffé de séquences humoristiques (en particulier le gag récurrent du "roulé, boulé" de l'héroïne...) qui ne plombent pour autant pas une tension dramatique tenant plus de la résolution des tourments sentimentaux de notre voyageuse temporelle que de la nature des voyages en eux-mêmes, La Traversée du Temps propose un très bon moment de plaisir. Le film marque également, après quelques productions de commande (Digimon et One Piece) plus que consciencieusement dirigées, et après sa collaboration manquée avec Ghibli (pour qui il devait en son temps initialement réaliser Le Château Ambulant avant que MIYAZAKI père ne rempile), la confirmation de l’émergence d’HOSODA Mamoru au premier plan de la nouvelle vague d’animateurs/réalisateurs.