Un chambara dramatique de haute volée
Cette première incursion d'Oshima dans le chambara n'est pas pour autant étrangère à sa jeune filmographie, on retrouve effectivement une armée de paysans révoltés par le pouvoir en place qui tend à supprimer les libertés des chrétiens en instaurant des lois visant à interdire la propagation de cette religion à travers le pays. Certes Oshima transpose sa "révolte de la jeunesse" dans un cadre très différent du Japon contemporain, mais l'effet est le même sauf qu'à la différence près les jeunes sont remplacés par des personnes croyantes, opprimées, travaillant la terre sous le regard hautain et suffisant du régime. Au sein de cette "armée" de paysans, Shiro est le meneur de troupes, mais malgré les barrières dressées par la religion, il se doit de protéger son peuple, ce qui peut paraître contradictoire car comme le rappelle un paysan, la religion interdit le recours à la violence. Encore jeune cinéaste, Oshima fait preuve d'une exceptionnelle maturité lorsqu'il filme la condition de l'Homme ou les batailles en plan large. Techniquement le film est d'ailleurs très intéressant, alliant plastique recherchée par un contraste et un jeu d'ombre bluffants, une mise en scène choisissant les très longs plans et une vue d'ensemble permettant d'incorporer à l'écran une multitude de détails et d'émotions qu'un choix de montage cut aurait pu tout simplement supprimer. Le cinéaste se permet même quelques audaces sur le plan formel avec ce plan séquence en guise d'introduction, dont la distance apporte un véritable souffle dramatique (qui sera tenu sur toute la longueur du film), comme le fera Kurosawa dans le beau Kagemusha avec son démarrage digne d'une pièce de théâtre.
Et ce souffle dramatique, parlons en, il faut souligner que le film d'Oshima ne ressemble à rien de véritablement convenu dans ce domaine là, préférant jouer sur la tension dramatique et sur les revendications tranchantes : le film peut alors être pris comme un pamphlet contre la violence politique, morale et physique symbolisée par la hargne des paysans -pourtant croyants- à vouloir en découdre avec le Shogunat Shimabara et la profonde douleur du peintre incarné par Mikuni Rentaro (personnage au service du Shogunat, refusant de peindre les horreurs de la guerre), évangélisé dans le sens inverse à coup de torture insoutenable. A la différence des cinéastes qui préfèrent amplifier la violence par la suggestion, Oshima la montre telle quelle et se focalise à la fois sur le corps meurtri et les visages stupéfaits des paysans notamment lors d'un plan sublime où ces derniers regardent périr quatre résistants sur le bûcher, leurs yeux illuminés par les flammes, comme si elles reflétaient, paradoxalement, l'apparition d'une divinité née de la mort de quatre personnes qui préfèrent mourir plutôt que de renoncer à la religion. La musique de Manabe Riichiro, omniprésente et d'une noirceur presque sans équivoque dans le domaine du chambara, souligne la moindre séquence par sa redoutable inquiétude. De plus si Oshima donne une réelle importance aux paysans, métaphore de la résistance, il ne joue pas la carte de l'empathie avec ces derniers, préférant amener l'issue de ce combat à une fatalité téléphonée. Les écriteaux en fin de métrage feront état des pertes et évoquera le sort de Shiro avec une indifférence qui fait froid dans le dos. La réussite du film est aussi de ne pas avoir montré la rébellion finale, et la faire suggérer par l'utilisation des écriteaux intensifie toute la tension dramatique créée jusque là : si l'ampleur est là, les batailles n'atteignent pas la grandeur de celles des films de Kurosawa, ni même leur côté épique, on pourrait effectivement rapprocher le style d'Oshima à celui d'un Kobayashi où le cinéaste ne donnait pas cher de la peau des derniers samouraïs. Ici, les samouraïs de Kobayashi sont remplacés par les chrétiens d'Oshima...