Des solutions visuelles fortes pour un scénario finalement classique
Amer Beton est le fruit de la collaboration du prodige Michael Arias et du studio 4°C. Pas un simple film d'animation, pas non plus une véritable démo technologique, le dernier né du studio 4°C étonne par sa dynamique renversante et sa relecture culottée du yakuza eiga à l'ancienne, portée ici dans un univers à mi-chemin entre les délires ultra détaillés d'un Sylvain Chomet, la violence excessive et la maturité d'un Metal Hurlant, le tout fort d'une identité clairement nippone. Pourtant le style d'Amer Beton ne semble pas tout à fait comme les autres, et cette "identité" clairement imposée saute aux yeux des les premiers instants du métrage. Réalisé et passé au format scope 2.35, le film de Michael Arias titille la rétine par ses décors à perte de vue et ses panoramas vertigineux. Le bougre est malin puisque ses deux héros principaux, Blanc et Noir, voyagent dans la cité de toits en toits, donnant cette impression de voltiger, et donnant aussi au spectateur cette sensation d'être transporté à notre tour dans la cité néo-rétro imaginaire aux couleurs éclatantes.
Pourtant, et malgré un visuel accrocheur, Amer Beton ne transporte pas avec lui la grâce et la densité des meilleures oeuvres du studio, pas même apte à rivaliser avec les productions I.G pour ses best of futuristes, ou avec le nec + ultra d'un Ghibli pour son aûra accrocheuse dès les premières secondes. Car si Amer Beton est stupéfiant les dix premières minutes, la baffe s'adoucie au fur et à mesure que l'on prend ses marques avec le visuel fait de personnages gribouillés (rappelant ceux de Kill Bill volume 1 lorsque Tarantino évoque le passé d'Oren Ishii) insérés dans des décors en vraie 2D fausse 3D, car le scénario manque d'opacité et d'audaces. Si le pitch d'entrée propose des choses bien sympathiques (un scientifique cinglé prévoit de conquérir la ville en lâchant ses cyborgs yakuzas dans les rues histoire de faire le ménage), les personnages manquent d'épaisseur. Noir est vif mais ses pétages de plomb ne sont pas forcément justifiés, Blanc n'est qu'un pur sidekick. Ca cloche même dans la mesure où le passage à tabac de Blanc par l'armée de cyborg arrive à être carrément jouissif! Pauvre de lui. Saluons tout de même le travail artistique de l'équipe qui arrive à épater la galerie de ses quelques éclaircies redoutables : des bastons féroces parfaitement agencées par une animation sans faille et qui plus est affolante de rapidité, soutenues par l'excellent travail musical de Plaid dont un générique de fin mémorable.
En sortant de la projection d'Amer Beton (vers les 1h30 du matin), je quittais les lieux en ayant le sentiment d'avoir assisté à un film trop long, mais j'en gardais des images plein la tête, et c'est sûrement ce facteur qui attirera les foules dans les salles obscures. A n'en pas douter, le film de Michael Arias dispose de suffisament de qualités pour sortir des sentiers battus, et dans cette optique, étonner son spectateur.
Anime béton
Alors que les amateurs d’animation et du studio 4°C en particulier redoutaient de voir Amer Béton connaître le même sort que Mind Game (2004), précédent chef d’œuvre réalisé au sein du studio et inexplicablement ignoré par les distributeurs français, l’annonce d’un distributeur et d’une date, a fait son petit effet. La réputation du studio 4°C (Steamboy, Animatrix...), la qualité du manga original ainsi que la présence - inédite - à la barre de cette adaptation d’un occidental en la personne de Michael ARIAS, avaient déjà de quoi titiller la curiosité. Le film a au moins tout ce qu'il faut pour titiller les rétines.
Première adaptation animée d’une œuvre du mangaka MATSUMOTO Taiyô après 3 adaptations live sorties ces dernières années au Japon, Amer Béton marque également une première dans l’histoire de l’animation japonaise avec la présence d’un occidental au poste de réalisateur. Ainsi que s’en explique Michael ARIAS lui-même, la chose s’est faite plutôt naturellement et reste surtout le produit de son implication et de son enthousiasme pour le manga éponyme. Entièrement au service de l’œuvre originale donc, ARIAS, entouré de la fine fleur des artistes de 4°C et conforté dans sa démarche par la figure emblématique du studio, l’animateur MORIMOTO Kôji, délivre une transposition magnifiée et spectaculaire de l’univers créé par Matsumoto. Techniquement irréprochable avec son mélange 2D/3D maîtrisé, artistiquement gargantuesque et narrativement appuyé sur les solides fondements du manga, Amer Béton dispose d'assez d'atouts pour satisfaire le plus grand nombre.
Visuellement ébouriffant, le film n’en propose pas moins une histoire sombre à la violence sourde et réaliste, mais non dénuée de notes d’espoirs et avec son lot de personnages intéressants. Aux trajectoires de Blanc et Noir il faut ainsi ajouter celles, développées en parallèles, du couple de yakuza Suzuki/Kimura et, dans une moindre mesure, celles du couple d’inspecteurs Sawada/Fujimura... Les amateurs du manga pourront toujours noter, histoire de faire la fine bouche, que le film reste peut-être trop proche de ce dernier pour les surprendre, mais cela n’enlèvera finalement rien à la qualité du travail fourni. Et surtout, ce serait injustement mésestimer l’apport artistique de Michael ARIAS et oublier que la séquence la plus impressionnante du film, « l’enfer du Minotaure » (voir article/interview), celle qui doit le moins au manga de MATSUMOTO et lui est même supérieure dans son impact, est également celle où le réalisateur à mis le plus de lui-même. Une séquence tendant vers l’abstrait et qui enrichie indéniablement le traitement qu’en a fait MATSUMOTO dans son manga.
Autant d'atouts et de moments forts qui ne compensent pas totalement cependant un scénario un peu trop linéaire et une mise en scène trop respectueuse du manga. Les modalités d'apréhension et la gestion des rythmes n'étant pas les mêmes du manga à l'anime, ce qui n'est pas un problème dans la version papier peut le devenir à l'écran. La séquence de "l'enfer du Minotaure", la façon dont ARIAS a positivement résolu l'adaptation de ce passage de l'histoire originale, est sans doute le "symptôme" le plus évident du problème posé. Dans une formule un peu facile on pourrait dire que ce qui sépare sans doute un film comme Mind Game - produit par le même studio donc - d'Amer Béton, c'est que quand ARIAS met son film au service du manga, YUASA Masaaki semble lui mettre le manga qu'il adapte au service de son projet d'animation...
Après la sortie dans les salles françaises de Paprika de KON Satoshi , alors qu’est distribué Les Contes de Terremer de MIYAZAKI Goro et avant la sortie prochaine de La Traversée du Temps (Toki wo Kakeru Shôjo, Tokikake pour les intimes) de HOSODA Mamoru, celle d’Amer Béton constitue un nouveau pas dans la découverte hexagonale de la nouvelle génération de l’animation japonaise ainsi que la confirmation de la nouvelle dimension acquise par le studio 4°C.
© 2006 MATSUMOTO Taiyô / Shogakukan - Aniplex - Asmik Ace - Beyond C. - Dentsu - Tokyo MX
Béton non armé / hommage d'un fanboy à son matériau de base
Transposer un feuilleton au cinéma n’a jamais été chose aisée. D’autant que, dans le manga, le style de Taiyo Matsumoto est très particulier, fait de perspectives perturbées qui donnent la sensation constante au lecteur d’être soumis à un étrange vertige qu'il se doit de maîtriser pour participer à la ballade. Concept absent de l'anime. Et l’accumulation d’historiettes, les combats répétitifs et l’inéluctabilité fatale des divers comportements n’apparaissent pas non plus. Mais le pouvaient-ils seulement ? Malgré l’évidente bonne volonté d’Arias de rendre justice sur grand écran au manga culte qu’il vénère, le bilan est négatif. Relatif, certes, tout n’est pas à jeter dans ce film, simplement l’essentiel est passé à la trappe : la dramaturgie, les nuances des métaphores, une partie des personnages… Blanko ne crie plus, il parle doucement, à la mode autiste en vogue actuellement dès qu’il s’agit de montrer un personnage « ailleurs ». Il devient une sorte de médium tout ce qu’il y a de plus conforme aux traditions actuelles, gourou débile d’une new wave surfant bêtement sur ses traces. Ce qui n’était pas le cas dans le manga. Ses coups de gueule et son humour ont disparu, ne restent que sa tristesse et ses quelques phrases géniales posées là beaucoup trop mécaniquement. Le design des personnages est complètement raté, les traits ne sont plus arrondis ou chaotiques mais anguleux, secs et trop précis. Quant à la ville, elle est trop détaillée, trop envahissante, trop baroque. Elle inonde nos rétines de détails superflus et d’effets 3D usants. C’est une bonne démonstration technique, de ce point de vue là c’est époustouflant, mais elle nuit à l’œuvre et à ce qu’elle souhaiterait véhiculer, éloignant le spectateur de l’essentiel. L'effet "Judas de porte" du manga ou technique du "fish eye" grossissait les visages, les mettant en avant par rapport au décor. Pas là. La narration peine qui plus est à s’imposer, elle se sert maladroitement de son support premier comme d’un story board, une pourtant bonne idée qui n’aboutira pas à cause d’un amateurisme (le mot est lâché) dommageable sur la presque intégralité de la mise en scène. L’amitié naissante entre un jeune flic formaté « j’veux m’servir de mon flingue » et Blanko n’est pas palpable, pas plus que l’évolution de ce premier, adulte fermé s’ouvrant progressivement aux autres. Enfonçons le clou : les scènes d’action sont très mal amenées, très mal « filmées », ne retranscrivant en rien la vitesse et la vigueur des affrontements pas plus que la force charismatique de Noiro, qui se borne ici à n’être qu’un simple clone du Testuo d’Akira, un personnage fort au visuel depuis longtemps assimilé.
"Amer Béton" est un dessin animé sympathique pour peu qu’on en oublie le manga. C’est un film qui, pour ceux qui n’ont pas vu LA carte de visite des Studios 4°C, Mind Game, change du tout venant. Le style peut plaire et quelques scènes valent le détour. La mise à mort d’un mafieux dans une ruelle est formidable, et dramatiquement c’est ce passage-ci qui est le plus maîtrisé par Arias, davantage que l’apparition du Minotaure lors du bouquet final, morceau qui s’en sort très bien en terme d’animation mais qui se devait d’être contrebalancé par les réactions de Blanko pour être efficace. La complémentarité du climax est ici plus qu’hasardeuse. L’assassinat, lui, possède une résonance adulte indéniable, l’ultime – fausse ? - maîtrise d’un destin foireux qu’on devine passif et lâche. Arias prend enfin son temps pour raconter cet événement poignant malgré une conclusion qui restera, de toute façon, ratée. Dans le manga, un flic ira jusqu’à engueuler la dépouille, reprochant à son ami de s’être suicidé pour éviter de faire face aux mutations de la ville. L’ultime lâcheté ? Une vanne surprenante au pays d’un Hara Kiri/Sepuku souvent admiré ! Et à cette réplique-mandale de disparaître du film. Cette petite chose et d’autres manquent à l’appel, et on en arrive à penser que, tout comme Otomo sur Akira, c’est peut être Matsumoto qui aurait du adapter son bébé, avec le Studio 4°C en renfort. Ceci relevant de l’avis d’un lecteur bouleversé par le manga. Et ceci expliquant peut être ce texte là.