Réelle atmosphère d'irréalité
Qu'on l'aime ou non, ce film impose au moins le repect que mérite toute oeuvre sans concession. Diffficile de livrer au spectateur une vie qui bascule, c'est pourtant le pari que reussit Julian Lee. Et basculer est un faible mot au regard du parcours qui mènera le personnage de Daniel Wu au bout de sa folie. Ce drame psychanlytique est entièrement supporté par un Daniel Wu stupéfiant de sensibilité. La grande réussite de Julian Lee est d'avoir su créer autour de ce personnage l'atmosphère d'une oppression palpable, particulièrement grace à des effets sonores superbes sans être pour autant envahissants. Seul reproche, ce film pourrait être européen ou américain sans que cela ne change rien à l'histoire, j'aurais préféré voir Julian Lee nous livrer une vision plus orientale du destin individuel. Finalement, même s'il dérange et met mal à l'aise, Night Corridor est à mon goût un des grands films de 2003.
Night Corridor
Après quatre ans d’attente, Julian Lee donne enfin suite à son remarqué The Accident. A nouveau adapté d’une des ses nouvelles, la mise en chantier de ce film est révélatrice de la difficulté d’être un cinéaste indépendant à HK surtout quand on a des ambitions. D’ailleurs, ambitieux est un mot qui qualifie bien Night Corridor car c’est le genre de film qui amène à redéfinir notre conception de ce qu’est le cinéma asiatique : comme on pourrait pointer du doigt l’influence américaine sur l’industrie cinématographique coréenne (pour le meilleur et pour le pire), ce film montre que la mondialisation du cinéma peut aller encore bien plus loin quitte à donner des œuvres hybrides et novatrices comme ce Night Corridor. La première chose qui interpelle à la vision du film est sa représentation inédite d’Hong-Kong dont ne sont montrés que quelques lieux particuliers qui tiennent de vestiges culturels d’une époque où l’occident était encore implanté dans la ville. Outre la présence très remarquée de la religion catholique dans le film (aussi bien pour des raisons scénaristiques que d’un ancrage visuel avec notamment l’appartement de Kara Hui qui se retrouve illuminé par de nombreuse icônes de la vierge Marie), cette influence se retrouve aussi dans l’architecture de la bibliothèque qui est l’un des lieux-clés du film. Mais surtout, c’est le traitement visuel de tout cela qui est vraiment intéressant car dans la continuité des travaux de Dario Argento, de ce point de vue là, les amateurs de giallos ne seront pas déçus car Julian Lee retrouve la flamme du maître italien en créant une tension permanente grâce à une réalisation ingénieuse : un bon exemple est l’ombre du réalisateur sur un mur qui devient à l’écran quelque chose de surnaturel où la peur est créée par l’inconscient et tout au long du métrage, on retrouve cet aspect flamboyant et violent hérité de la peinture. La peinture ayant aussi un certain rôle dans l’histoire, on serait tenté de rapprocher le film du Syndrôme de Stendhal mais en dehors d'une similiraité de genre et du côté visuel, Julian Lee utilise des chemins bien plus tortueux que les giallos…
Le générique de début de Night Corridor présente les photos de son exposition intitulée Painful Portraits et à ça se rajoute le fait que la nouvelle à la base du film a été inspirée par les auto-portraits du peintre belge Léon Spilliaert : Night Corridor est le reflet de ces visions torturées et Julian Lee ne prend pas de gants pour amener son récit dans les zones les plus sombres de l’âme humaine. La classification en category 3 du film est évidente vu les thèmes abordés comme la pédophilie ou l’homosexualité refoulée, le tout baignant dans un climat de violence assez prononcé. Le tableau de peinture utilisé dans le film a pour nom The Nightmare et cela qualifie bien le film car Julian Lee utilise une narration propre aux rêves, c'est-à-dire une narration basée avant tout sur le subconscient des personnages et c’est en cela qu’il rejoint le cinéma de David Lynch, se créant son propre univers inédit loin de toute rationalité. La seule attache du spectateur dans le film étant Daniel Wu, on ne peut que perdre les pédales en même temps que son personnage qui ne contrôle plus rien et finit par ne plus s’en remettre qu’à ses pulsions. Il est clair que sur ce point, le film risque d’avoir de nombreux détracteurs comme Lynch a les siens : mais bon, c’est une situation quasi-normale pour des cinéastes qui ne font pas de compromis. Néanmoins, j’ai quand même une réserve quant au tout dernier plan du film qui en faisant un gros clin d’œil au spectateur fait quelque peu retomber toute la tension accumulée pendant le film : ceci dit, cela n’empêche aucunement au film de fournir un plaisir durable après la vision.
Ceux qui voulaient voir un The Accident 2 risque bien d’être déçu mais c’est toujours mieux de voir un artiste innover et avec Night Corridor, Julian Lee s’affirme comme l’un des réalisateurs les plus consistants et intéressants du cinéma HK actuel et on se prendrait même à rêver sur un possible troisième film qui mélangerait la mélancolie de The Accident avec le côté sombre et très visuel de Night Corridor mais en attendant, ce film reste l’un des meilleurs exemples de ce que le cinéma indépendant HK peut offrir.
Une ambiance de cauchemar sur pellicule: envoûtant
Avec Night Corridor, il est évident qu'on est assez loin du tout venant Hong-Kongais. Après un premier film déjà remarqué, Julian Lee confirme son statut de réalisateur/auteur à suivre. Son nouveau film risque de diviser, tout comme la plupart des films d'auteur singuliers. Ici le spectateur est plongé dans une ambiance assez étonnante, assez surnaturelle, comme dans un rêve ou un cauchemar. Le film ne s'encombre pas d'explications et laisse beaucoup de choses dans le vague, mais pas seulement pour le spectateur. Le personnage principal (interprété par un Daniel Wu qui démontre à nouveau que ce n'est pas qu'une belle gueule) est en effet presque aussi perdu que le spectateur, car même si son passé (et globalement celui de tous les personnages) reste un peu flou, les évènements qu'il a à affronter le laisse aussi déboussolé que le spectateur.
Cette ambiance assez étrange mélange religion, sexe (avec des scènes plutôt crues pour un film HK), mort, amour et haine. Le tout dans un Hong-Kong très nocturne et fantomatique. Night Corridor n'est assurément pas un film gai, mais plutôt un film douloureux et macabre pour ses personnages voir même pour Hong-Kong, désincarnée après la rétrocession. Impossible de savoir comment tout cela va évoluer, on est sans cesse balotter entre plusieurs personnages avec leurs secrets, et une histoire de religio-fantastique assez floue qui finit de rendre l'essemble assez étrange. Au final on sort du film comme on se réveille d'un mauvais rêve, la tête pleine de sensations mais sans pouvoir vraiment tout relier et reconstituer une histoire claire et précise. Peut-être tout simplement parce qu'il n'y en pas.
Cette sensation d'être un peu perdu dans le film le dessert autant qu'elle l'avantage en fait paradoxalement. La plus grande qualité du film est probablement de sortir le spectateur du cadre habituel des films pour le faire entrer dans un monde à part, très personnel au réalisateur (le film est adapté d'un de ses romans), mais avec le risque qu'il n'apprécie pas le voyage. On pense évidemment un peu à David Lynch et Dario Argento, ce qui n'est pas la moindre des références dans ce domaine.
Au final, Night Corridor est un film prenant et déboussollant, une visite dans un monde étrange et très personnel, ainsi que la preuve que le cinéma indépendant possède une belle vigueur à Hong-Kong (le film a été tourné en moins de deux semaines...), et que certains jeunes acteurs ont des choses à apporter (Daniel Wu est acteur mais également producteur ici).
Couloir confus
Les meilleures intentions ne font pas toujours les grands films et Night Corridor le prouve une fois encore. Parce que si Julian Lee se réclame de Lynch et de Polanski, il est très loin de leur arriver à la cheville. Paradoxalement, Night Corridor est à la fois trop long et trop court: long par l'ennui qu'il suscite au visionnage, court parce que son récit manque de l'aveu meme du cinéaste de développement du fait des conditions de tournage, aboutissant de fait en l'état à une dimension caricaturale limite idéologiquement: le personnage de l'étranger qui sort avec la mère de Daniel Wu en est réduit à un etre violent, les personnages féminins sont réduits à des stéréotypes (la femme/mante religieuse, la mère pleureuse). On me dira que c'est un voyage intérieur, que le héros se confronte à ses pulsions refoulées, on me parlera de Lost Highway mais Lynch part de clichés cinématographiques (la blonde fatale qui sort avec un vieux parrain, la blonde et la brune qui sont la même femme, le voyou tendance James Dean jeune) pour parler du mystère de la jouissance féminine, du fait que les femmes comprennent parfaitement les hommes alors qu'elles leur seront éternellement mystérieuses. Chez Julian Lee, le rapport à la féminité est bien plus convenu.
Qui plus est, s'il y a un cinéaste auquel les travers du scénario font penser, c'est Kurosawa Kiyoshi -avec lequel Julian Lee partage le gout pour des décors mornes et désaffectés, symboles dans le cas présent de la désolation du Hong Kong post-rétrocession- que Julian Lee évoque par son sens des métaphores politiques à gros sabots: le trouble d'identité de Daniel Wu symbole de celui de Hong Kong après la rétrocession et le personnage -subtil selon le cinéaste- du diable retenant le passeport anglais comme symbole des rapports de la Chine à Hong Kong. A cet aspect politique, Julian Lee ajoute les thèmes de la pédophilie, du désir homosexuel et du rapport à la mère. Sauf que là où un Mullholland Drive arrivait à concilier dimension politique -l'aspect pamphlet antihollywoodien et commentaire sur la situation de Lynch cinéaste à Hollywood- et dimension de voyage intérieur les éléments relevant de l'observation du Hong Kong actuel et ceux relevant de l'inconscient du narrateur n'arrivent pas ici à cohabiter pour former un tout cohérent thématiquement. A l'image de ce qu'en dit Julian Lee en interview, c'est confus et embrouillé. Le film a en outre en commun avec ceux de Kurosawa une absence totale de dramatisation -venant d'un rythme pas vraiment judicieux- et une photographie terne, deux éléments qui plombent grandement l'efficacité du film niveau frousse et meme de sa force en tant que voyage à l'intérieur de l'esprit d'un personnage -surtout que Lynch arrivait à susciter un vrai moment de terreur avec un seul téléphone portable-. Délestés d'une force dramatique qu'ils pourraient soutenir, les effets de mise en scène apparaissent dès lors seulement maniéristes: lorsque le film se veut visuellement virtuose, sa virtuosité tourne à vide -contrairement aux films d'Argento très intenses dramatiquement-. Sans parler de l'abus de cadrages penchés qui deviennent vite des tics de mise en scène irritants et de certains travellings durant lesquels Julian Lee donne l'impression de se regarder filmer. Sans compter que Daniel Wu manque d'un jeu à la hauteur de son personnage et que la direction d'acteurs dans les scènes concernant sa mère n'est pas convaincante dans le registre pathétique.
Que Julian Lee soit nostalgique de l'avant-rétrocession, cela se comprend. Mais son commentaire sur la rétrocession et ses conséquences est loin de valoir la vision d'un Fruit Chan à son meilleur. Night Corridor se distingue bien sur du tout-venant hongkongais niveau ambition mais si le film se réclame d'une approche de la narration descendante en droite ligne de la modernité cinématographique des années 60 il prouve qu'entre des mains moins inspirées que celles des Fellini, Bunuel ou Lynch elle peut servir d'excuse au manque de cohérence...
"Je suis un artiste" (Julian Lee, réalisateur de Night Corridor) Ah bon ? Donnez moi vite un revolver !
Lorsque l'on écoute Julian Lee nous parler de son film, tout Night Corridor semble se justifier quelque part, même ailleurs, et surtout nulle part. A rebours d'Hollywood (selon ses désirs, comme si le cinéma Hollywoodien était nécessairement balisé) il crée un film à trous, clés, sans explications, bourré d'incertitudes et d'interprétations divers. Influencé soi disant par David Lynch, cinéaste intouchable et donc profondément discutable, Night Corridor se voudrait une réfléxion profonde, intense, angoissante et troublante sur la question d'identité (national, sexuel, le moi etc). Mais qu'est-ce qu'on voit dans Night Corridor, soi disant film spirale et faussement tortueux ? Rien, et c'est là tout le problème. Chaque plan, chaque scènes est ailleurs, à coté, partout mais jamais dans l'image. Avec une volonté masochiste de laisser l'interprétation de son film ouvert à tous les possibles, Julian Lee finit par réaliser un film où chaque symbole, lourd et pesant, chaques actions, significations, en appel une autre, périphérique, qui n'est jamais dans l'image. On voudrait bien justifier ça par son coté Syndrome de Stendhal (Argento, ce petit cancre élevé chez Bava avait fait mieux), cette perte, cette traversée de l'autre coté du miroir, de la toile, où le vivant se confond avec sa création, mais on aura bien du mal. Car cela ne sert en rien de pouvoir justifier quelque chose pour que celui-ci fasse sens, et que ce sens est lui-même un sens. Autrement dit le processus et le signfiant de Night Corridor ne mène à rien, nulle part, qu'à une esbrouffe d'images derrière lesquelles il n'y a qu'un vide comblé par un assemblage de références mal rafistolées. La quête identitaire de ce personnage, mal joué, auquel rien ne nous accroche, trituré par la symbolique abusive du film dans lequel il est prisonnier, n'est qu'un foutoir mal torché d'images sans la moindre rigueur. Tout Night Corridor n'est fait que de plans indigestes et baclés (des cadres bancals pour mieux signifier que cette histoire est très très tordue), d'une lumière fade et plate et d'un sens de l'espace douteux et maldaroit (ne parlons pas de la bande son, au mixage douteux, voir pas mixé du tout). Le tout dans un sens de la dramaturgie terriblement pauvre et linéaire, au rythme morne et faussement tout ce qu'on voudra bien y mettre.
Ce petit opus post Lynchien (pourtant même pas mort l'américain !), qui voudrait lorgner un peu vite aussi du coté des maîtres Lang ou Murnau, semble oublier trop vite qu'en ce temps là on y réfléchissait peut-être à deux fois avant de tourner un plan. Et que si symbolique il y avait, celle-ci naissait d'une cohésion d'ensemble et sous jacente qui ne cherchait pas à se donner comme première (et unique -même si l'on veut nous faire croire aux divers interprétations) lecture. Enfin, le comble que l'on pourrait reprocher au film de Julian Lee, c'est de n'être que bien peu chinois (malgré toutes les questions liés à ce sujet au sein du film), et surtout bien trop européen. Cette petite "politique de l'auteur", ces vélleités artistiques ("je suis un artiste"), qui par leur simple énoncé permet de tout justifier, d'élaborer mille théories périphériques autour d'une oeuvre (nous pourrions appeler ça le "syndrome Grandrieux), de tisser toutes les interprétations possibles des lacunes d'un film, et de trouver des vertiges d'analyse dans la métaphore et la symbolique. On peut dire que pour Hong Kong, un cinéma éloigné de ce paternalisme (en tant qu'héritage européen d'un rapport au cinéma) triomphant et pesant, c'est une chose bien triste à voir.
Il y a d'autres films à voir, réellement...
Ce film m'a mis mal à l'aise du début à la fin. Il décrit une tranche de vie du héros, dont le quotidien baigne dans le malsain (cf les autres critiques pour les détails).
Si vous aimez vous déprimer, regardez ce film. Il n'y a aucun aspect positif ni dans le dénouement, ni dans une quelconque leçon à retirer de l'histoire. Je suis d'accord avec la critique précédente, donnez-moi un flingue car je suis trop bête d'avoir acheté ce film !