Le film démarre : Nous voila plongés dans une luxuriante forêt thaïlandaise, un long plan séquence nous ballade à travers les troncs d’arbres, les feuillages. Soudain, les hurlementsd’une femme viennent perçer le silence ambiant, elle tente vainement d’échapper à ses ravisseurs. La caméra s’éloigne de nouveau (on devine le plan subjectif) et on retrouve les deux criminels, étendus dans un lit de rivière, mort.
Ainsi s’ouvre Nymph de Pen Ek Ratanaruang, et d’emblée le ton est donné, le film sera lent et la caméra se déplacera tel un boa pachydermique au milieu d’une histoire d’esprit qui pourrait faire frémir plus d’un. En fait non, ce film ne fera peur à personne et pour être tout à fait honnête cela ne semble pas être les préoccupations du jeune auteur. Loin d’être une énième histoire de fantômes façon The Ring (1999) (Zero Bis Versus Code Veronica ….), Nymph se concentre sur l’histoire d’un couple qui se déchire et sombre peu à peu dans la folie. Rien de condamnable en soit, si le réalisateur n’avait pas choisi une mis en scène paresseuse et un peu facile.
La forme ressemble vaguement à du Lars Von Trier, une caméra flottante, une image délavée et une lumière faiblarde, je sais c’est réducteur mais je ne suis pas fan, d’autant plus qu’il s’agit du réalisateur de Invisible Waves (2006) et Ploy (2007) qui étaient infiniment plus soignés et graphiques. Le souci de ce film tient dans ce qu’il raconte, ça reste poussif et l’intrigue n’a au final pas grand-chose à nous offrir. Résultat, des plans interminables, certes travaillés pour la plupart, mais franchement pas palpitant.
Quant au duo d’acteurs, ils restent dans la moyenne, un peu morne mais plutôt en accord avec les personnages qu’ils interprètent. A noter que l’actrice Temthanaporn Wanida est absolument incroyable … physiquement. Aucun rapport avec le film ? Non, mais on constatera (avec plaisir) que Pen Ek ne choisit pas ses actrices au hasard, souvenez vous de Boonyasak Sinitta (alala !) dans Last Life in the Universe (2003) . Vraiment, on lui reconnaît au moins ce talent …
Plus sérieusement et pour conclure, Nymph est loin d’être sans qualités, de jolis plans, certaines séquences sont même carrément inspirée (non mais c’est vrais …) mais le scénario et la forme adoptée n’aident pas le film. A la fin de la séance, je suis resté un peu perplexe et un peu endormis. D’habitude fan de ce réa, j’ai l’impression que cette fois ci, il se repose beaucoup sur ses lauriers.
On lisait ça et là que le dernier Pen-Ek Ratanaruang n’était pas génial. Il divise tellement que la sensibilité du spectateur peut faire la différence à tout moment. D’ailleurs, le cinéaste aussi peut faire la différence n’importe quand, on appelle ça le talent. Car autant le dire très vite pour être débarrassé, Nymph n’est pas un grand cru de la sélection cannoise, ni même de son auteur. Il met en scène un couple, Nop et sa femme May, tous deux partis dans la jungle afin d’y réaliser un reportage-photo, le mari étant un grand passionné de photographies. En revanche, May ne semble pas très motivée quant à l’idée de camper dans la jungle, de plus la relation qu’elle entretient avec son mari est extrêmement fragile, ce dernier confiera d’ailleurs qu’il aura négligé son couple à cause du travail, et May, d’aller voir ailleurs, chez son patron. Après Ploy, le cinéaste replonge dans la cassure du couple, motrice de la narration, et l’utilise pour poser le film sur les rails du fantastique : c’est par le travail (et donc, l’élément qui brise le couple) que Nop et May vont se rendre dans la jungle, un voyage qui s’annonce plus étrange que prévu.
Ce n’est pas seulement la forêt pénétrante qui passionne tant Nop, amateur de clichés. Non, ce qui attire son attention plus que tout, c’est cet arbre. De forme étrange, il semble presque habité par un esprit. Est-ce le cas ? L’introduction (un plan-séquence démentiel de plus de cinq minutes parcourant la forêt en long et en large) montre une jeune femme se faire attaquer et sans doute violer par deux brutes. Il s’est passé quelque chose en hors-champ puisque deux minutes plus tard, les corps des deux hommes gisent dans l’eau, inconscients, morts. Mais quid de la jeune femme ? Son esprit s’est-il réincarné dans cet étrange arbre, celui qui semble attirer Nop dans un tourbillon d’amour qu’il ne connait plus depuis un bout de temps, jusqu’à le faire disparaître de la Terre ? A nouveau, le cinéma de Pen-Ek Ratanaruang mêle irréel et réalisme, offrant ainsi des moments hypnotiques revoyant l’intérêt du film à la hausse : le rythme, d’une lenteur quasi complaisante, est un de ses points noirs et mettra à mal le courage même des plus endurcis. Assurément le film le plus lent de son hauteur, et paradoxalement l’un des plus exigeants dans la mesure où, au-delà de la structure très simple de son récit, Nymph aligne les séquences inutilement trop longues avec une nonchalance pas possible. Le réalisateur semble trouver un malin plaisir à imager la lassitude de May à coup de caméras errant autour de son couple, fragiles, presque dépressives. Et à l’image de Ploy, on retrouve une scène de pleurnicherie dans une salle de bain, l’infidélité traitée en filigrane, un élément perturbateur (Ploy dans…Ploy contre l’arbre mystique ici) et le sens de la rupture.
Vitamine du cinéma d’auteur thaïlandais, celui qui perce en festival, l’imprévisible fait partie des éléments qui font la différence. Aussi bien chez Pen-Ek que chez Apichatpong, un évènement vient très souvent en cours de métrage secouer quelques fondations bâties sur une lenteur «marque de fabrique », et ce Nymph que l’on aurait aimé détester (ce serait une première dans le cinéma de Pen-Ek Ratanaruang) prend le dessus , rappelle au spectateur qu’il sait être admirable le temps d’une poignée de séquences marquantes : l’introduction d’abord, si longue que l’on est obligé de crier au sal géni, la disparition de Nop, ou encore la nymphe le « dévorant » dans ses racines sont autant de moments de vraie intensité, permettant à un film globalement feignant de sortir la tête de l’eau par éclairs. Le reste n’est que brume, manque d’inspiration, et tendance à s’éterniser là où ce n’est pas nécessaire. Cette lenteur d’ensemble renvoie directement au personnage de Nop joué par l’anti-charismatique Jayanama Nopachai, auteur d’une performance médiocre. De son côté, Tempthanaporn « Gibzy » Wanida s’en sort bien mieux, forte d’une beauté tranquille et d’un charisme tel qu’il lui permet de véhiculer des émotions plutôt noires.
Formellement, le film est très inégal. On retrouve la patte du cinéaste dans ces plans à rallonge, ces quelques travellings hypnotiques, ce sens pour la durée censée faire ressortir de l’image tout son pouvoir irréel, malheureusement quelques tics pas bien utiles viennent gâcher l’ensemble, comme une caméra sur épaule vite fatigante lorsqu’elle est utilisée de manière artificielle (c'est-à-dire 80% du temps). A côté, Kawase Naomi filme mieux la nature. Mais rayon réconfort, le son est toujours aussi dément, le bruit du vent dans les feuillages, le courant de l’eau, tout participe à l’immersion malgré l’absence de sourdine chère à ses films depuis Last Life in the Universe. Au final s’il n’est pas mauvais, Nymph ne parvient jamais à être totalement convaincant, sans doute parce qu'il affiche une facette du cinéaste qu'on ne connaissait pas réellement, malgré de petits clins d'oeil. On est en plein dans la tambouille. Enfin, annoncé comme un film d’épouvante érotique, on y trouvera bien plus d’horreur dans un Vagues Invisibles qu’ici, et bien plus d’érotisme dans Ploy. Frustrant car au potentiel tellement fort, Nymph arrive pourtant à être captivant dans la manière dont il métamorphose ses personnages : May se rend compte qu’elle n’a pas assez profité de son couple au moment où son amant rompt avec sa femme et au moment où Nop (son spectre ?) réapparait sous la forme d’un homme, mais blindé de racines à l’intérieur (ses nombreux verres d’eau engloutis en sont un bon exemple). Mais si l’idée sur le papier est excellente, le traitement reste trop souvent en surface. Il serait tout à fait possible d’allonger la liste d’idées excellentes entachées par un manque d’inspiration, prouvant l’inégalité totale de Nymph, mais on s’arrêtera à ce constat : l’œuvre est fascinante, dérangeante, pénible et fatiguante. Rien que ça.
Le cas de Pen-ek Ratanaruang est celui d'un homme bien particulier, celui d'un homme, qui se cherche lui-même film après film. Un homme débordant de sentiments, mais incapable d'avoir du "ressenti". Un homme capable de donner corps aux staes émotionnels de ses personnages comme personne, mais incapable de savoir quoi en faire.
Depuis ses premiers survoltés "Fun bar Karaoké" et "69", il n'a eu de cesse de casser la carcasse caricaturale des personnages qu'il inventait, pour tenter de regarder au-delà des apparences, voir ce qu'il y avait de l'intérieur; en même temps, il mettait de plus en plus de sa propre personne. Balloté de festival en festival à travers le monde, il découvrait de toujours nouvelles facettes de lui-même tout en se distanciant…Il rendait des films, qui se faisaient réapproprier par d'autres, critiques, comme producteurs, qui donnaient leurs propre vision des choses et indiquaient la voie à suivre pour être inciter à la bonne sélection au prochain festival.
Déjà un étranger dans son propre pays suite à ses années d'étude à l'étranger, Ratanaruang accentuaut encore son sentiment de déphasage par rapport au monde, qui l'entourait…Un monde ouaté, quasi surréaliste, qu'il a su parfaitement décrire dans ses deux derniers "Vagues invisibles" et – surtout – "Ploy", véritable rêve éveillé, auquel il a tenté redonné la substance de ces premeirs films en injectant une dose de personnages hauts en couleur…mais qui ne trovuaient plus leur place dans l'étrange entre-deux dans lequel le réalisateur se trouve.
Alors Ratanaruang a tenté de s'échapper non plus par l'esprit, mais physiquement, de cet incroyable univers urbain à la fois si réconfortant et inquiétant, qui constituait la substance même de ses précédents films. "Vagues invisibles" avait constitué un voyage, le voyage vers autre chose, mais demeurait dans des lieux extrêmement confinés, donc rassurants (intérieur restaurant, intérieur bateau, intérieur résidence de vacances); un voyage, qui ne l'aura mené nulle part, comme illustré dans son suivant, "Ploy", où des personnages sont prisonniers de l'intérieur d'un hôtel, entre deux destinations.
Cette fois, Ratanaruang prend littéralement la fuite, il s'en va et fuit littéralement de la grande ville, comme illustré lors d'un long plan-séquence…Une séquence (et un cadre) pas si éloigné de l'univers d'un Apitchaptong Weerasethakul, qui avait déjà entrepris son voyage initiatique bien plus tôt, au cours de ses "Blissfullu yours" et "Maladie Tropicale"…Et c'est peut-être également cela: un Ratanaruang paumé entre deux genres qu'il affectionne: la comédie survoltée de ses débuts et un cinéma auteurisant, qu'il serait incapable de maîtriser…Alors, il tente de faire son Apichatpong, en s'enfuyant dans la jungle à la recherche de réponses, à tenter de faire pareil, mais différent quand même…Sauf que le résultat final s'apparenterait davantage à du "Blair Witch Project", qu'à du "Maladie Tropicale"…Parce que Ratanaruang ne sait toujours pas où il veut réellement aller…
Alors, il prend son bol d'air forestier et filme son désemparement dans ce nouveau lieu mystique en accumulant les longs plans-séquences sans aucune utilité au milieu de cette forêt, des séquences la plupart du temps plongées dans un Noir total, parce qu'il ne sait plus où il est…l seule chose dont il est sûr, c'est de cette extraordinaire bande-son naturelle, omniprésente et à la fois un enchantement, comme source d'inquiétude par d'autres moments.
Et il en profite un autre thème, qui le mine: celui des rapports impossibles entre un homme et une femme. Lui-même toujours célibataire, il a dû mal à cerner une vraie relation et l'explore donc dans sa propre thérapie filmique…Là encore sans véritablement connaître tenants et aboutissements, ce qui débouche FORCEMENT sur une fin ouverte.
Finalement, la seule chose, dont Ratanaruang soit sûr, c'est de ne pas vouloir réaliser un film de fantômes typiquement thaïlandais…et d'évacuer cet aspect par son incroyable "survol du genre" au cours des cinq premières minutes du film. La quintessence même du film d'horreur thaï depuis plus de 60 ans, c'est de raconter l'histoire de la terrible revanche de l'esprit d'une femme (en l'occurrence ici celui du "Phi Nang Mai", esprit possédant un arbre), souillée par la bêtise des hommes et qui s'en revient d'entre les morts pour se venger de la manière la plus terrible qui soit. Ben voilà, ce qui se passe exactement au début du métrage. Une femme est apparemment poursuivie, (on s'imagine) violée et l'on découvre le cadavre de deux hommes, sa revanche étant assouvie.
Un film fascinant donc pour suivre les errances d'un réalisateur terriblement paumé, victime de son propre succès – mais qui risque de dérouter / rebuter les spectateurs lambda en raison du résultat totalement inabouti…A voir combien de films Pen-ek continuera encore à se chercher lui-même…et pour combien de films des producteurs seront encore prêts à financer ses psychothérapies personnelles bien coûteuses.
PS.:
Analysant le film de plus près, on pourrait également interpréter cette histoire comme le nouvel affrontement cadre urbain / Nature, présent dans quasiment tous les films de Ratanaruang et le désagrément du couple étant provoqué par l'envie de l'homme de retrouver la Nature (il se fend littéralement dans la Nature), tandis que la femme est une pure citadine, incapable de s'habituer à la vie campagnarde (elle fait la gueule lors de leur première excursion et semble avoir beaucoup de mal à s'adapter à son environnement au cours de ses allers retours entre la ville et la forêt tropicale).