Tanuki | 3.5 | No sympathy for the devil |
Junta | 4.25 |
A chaque nouvelle œuvre du "Dieu du Manga" adaptée dans nos contrées, on ne peut qu’être surpris de la grande diversité des sujets traités, dévoilant petit à petit de nouvelles facettes de l’auteur aux lecteurs français. MW se révèle très rapidement être une œuvre déstinée à un public averti dont quelques passages sont fortement susceptibles de choquer les âmes sensibles.
L’histoire commence à la façon d’un thriller avec une affaire d’enlèvement qui se finit mal et laisse le lecteur dans le vague quant à la suite des événements. Puis l’intrigue gagne en complexité et devient particulièrement sombre au fur et à mesure que la psychologie de Yuki, notre anti-héros, va se dévoiler. Yuki peut se résumer comme suit : la beauté du diable et la cruauté du chat qui joue avec une souris. Ce beau brun qui a l’image du gendre idéal avec une bonne situation dans une banque et un frère célèbre, est en fait un être machiavélique dont le mauvais fond n’est pas sans rappeler Johan Liebert dans Monster de Naoki Urasawa. Cependant, ce qui semble différencier ses deux incarnations du mal est leur "degré de pureté". Johan et son visage d’ange donnent une impression de mal sans tache, sans doute parce qu’on ne le voit jamais vraiment tuer de ses propres mains mais toujours utiliser très subtilement des intermédiaires. Yuki, quant à lui, distille un mal définitivement "sale" autour de lui en ayant recours à des méthodes assez abjectes. En matière de manipulation, il n’est pas non plus en reste. Le dessin de son regard fait d’ailleurs penser à la représentation du regard hypnotique des serpents (au hasard, celui du Livre de la Jungle). Il œuvre sans cesse pour mettre les gens dans sa poche, usant de stratagèmes avec plus ou moins de finesse, et ainsi atteindre le but que son esprit malade s’est fixé et qui se révèle être bien pire qu’une simple vengeance. Le personnage est uniformément noir et extrêmement malsain et on a beaucoup de mal à trouver des excuses pour expliquer sa conduite, hormis les effets délétères du gaz MW. Sa grande intelligence ne lui sert jamais à faire un acte de bienveillance mais toujours à tisser les fils de sa toile qui se referment peu à peu sur sa proie.
Face à lui, ou à ses côtés, c’est selon, on trouve un homme d’église du nom de Garaï qui apparaît rapidement être le personnage le plus intéressant de l’histoire de part la complexité de sa psychologie. L’exposition au gaz MW, 15 années plus tôt, le lie à la vie à la mort à Yuki mais au lieu de le transformer en un être amoral, il devient un homme torturé qui tentera de trouver la paix dans la religion. Ecartelé entre son désir pour son jeune amant, son sens de la justice qui lui dit de livrer à la police ce monstre qui vient se confesser à lui sans complexe après avoir assassiné père et enfant et la conviction que Dieu le met à l’épreuve, Garaï n’aura bientôt plus le choix que de supprimer lui-même la source de ses problèmes. On se demande cependant à plusieurs reprises comment, là où le lecteur échoue, Garaï arrive encore à pardonner, l’aveuglement dû à l’Amour ayant tout de même certaines limites.
Tout en construisant un scénario qui pourrait être assez facilement transposé sur grand écran, Tezuka réussit à dépeindre avec brio deux portraits d’hommes auxquels il est bien difficile de s’identifier mais que l’on regarde évoluer dans les eaux troubles d’un univers politico-mafieux très crédibles avec un certain intérêt. On croit savoir où va nous mener l’histoire et souvent les prédictions s’avèrent correctes mais l’auteur trouve tout de même le moyen de surprendre le lecteur à plusieurs reprises, notamment en usant des capacités de l’esprit perverti de Yuki. MW est une lutte entre le Mal et un Bien hésitant entre différentes nuances de gris. Pas un sommet en matière de maîtrise du suspens mais une œuvre dont le traitement reste assez inédit et où l’auteur n’oublie pas d’égratigner les politiciens et autres cadres supérieurs dont les choix ne sont pas forcément pour le bien de tous.