Moss, est-ce laid ?
Contrairement à ce film, je ne vais pas y aller par quatre chemins. C'est long, beaucoup trop long. Même par rapport aux standards coréens. Trois heures de scènes bancales, qui tentent péniblement de faire avancer une enquête qui n'apporte pas tout le suspense qu'elle censée susciter. Je vais même pas parler de gâchis, puisque même dans un format réduit, l'intérêt de ce film serait resté limité.
Le coup du village de montagne isolé où les gens sont livrés à eux-mêmes, on l'a déjà vu assez souvent dans le cinéma coréen. Dernier en date: Bedevilled. Et bien après avoir vu cet autre film, on s'attend à ce que le réalisateur nous pousse dans certains extrêmes, qu'il nous raconte une histoire peut-être sordide, ou au moins assez complexe, afin de pouvoir justifier qu'il garde en otage durant trois heures le spectateur. Mais soit le webcomic d'origine n'était déjà pas assez excitent en soi, soit le réalisateur n'a pas appris à couper. En tout cas, on s'ennuie ferme et on attend avec impatience et en vain le moment où le récit décollera enfin. Cette promesse est entrevue un instant lorsque les villageois à l'air douteux commencent à se faire éliminer chacun leur tour dans des circonstances malencontreuses provoquées par le héros. Un petit aspect comique qui n'a pourtant rien à voir avec le ton sérieux voulu. Ou en tout cas, moi, ça m'a fait rire, vu que j'avais rien d'autre à faire de ce film. C'est à dire qu'il se passe tellement rien que j'ai même cru à une de ces expériences narratives nihilistes comparables aux Bijoux de la Castafiore.
La résolution finale arrive sans surprise, et surtout le dernier twist, faible, sous forme d'un simple regard évocateur suivi du générique m'a donné envie de hurler car il y avait véritablement erreur sur la marchandise. Tout ça pour ça ? Mais c'est tellement vain. Une vraie perte de temps, aussi bien pour nous que pour la production.
Bon, mais pour Jeong Jae-yeong en petit vieux qui gueule, ça vaut quand même la peine d'en regarder un bout.
Cicatrice un peu trop voyante
Moss, cicatrice qui empoisonne la vie de notre jeune Hae-Kuk (incarné par le très vaseux Park Hae-Il), en dehors du fait qu’il n’apporte strictement rien au polar sud-coréen, a au moins l’originalité d’être adapté d’une bande-dessinée créée en 2007 sur internet. Un matériau de base qui montre cependant rapidement ses limites tant le cinéaste se montre incapable de proposer un récit un tant soit peu efficace et intense. Là où Les bandes-dessinées peuvent se permettre d’étendre une narration sur des dizaines de tomes, le cinéma en souffre rapidement à moins d’une écriture solide et des ambitions ne se limitant pas qu’à un simple portage sur grand écran. Le plus gênant dans cette « affaire », donc, c’est sa durée délirante et son terrible manque de souffle. Un souffle que le film n’arrive jamais à contenir sur la durée du fait d’une intrigue se tirant bien trop en longueur. L’intrigue de Moss débute quelques années en arrière de l’intrigue principale et positionne presque instantanément les bases du film : l’histoire se déroulera dans un village habité par d’étranges personnes, jadis mené par un leader religieux dont les conditions du décès restent un mystère. Un mystère que son fils, Hae-Kuk, tentera d’élucider en se rendant sur les lieux du décès de son père et, accessoirement, de ses funérailles. Il y fera rapidement la rencontre d’êtres douteux, menés à la baguette par un autre leader charismatique, le vieillard Yong-Deok. Celui-ci semble cacher bien des choses quant au décès du père d’Hae-Kuk. Enquête.
Pourquoi Moss ne fonctionne pas ? On ne mettra pas ça sur le dos des comédiens, plutôt bons pour la plupart lorsqu’ils ne cabotinent pas, ce même cabotinage qui fait basculer le film dans une hystérie synchrone de la mentalité des villageois. Rien ici n’est stable, encore moins le comportement de certains d’entre eux, en particulier le limité Deok-Chun, chien de garde influençable qui s’avérera pourtant être un élément clé dans l’enquête d’Hae-Kuk. Non, ce qui ne marche pas dans Moss c’est pourtant ce qui fait la force des grands films à suspense, c'est-à-dire leur capacité à tenir le spectateur en haleine avec autant de tours de passe-passe que possibles…du moment que l’on y croit. Moss n’arrivera jamais à respecter cette close morale puisque le cinéaste se montre incapable d’exceller dans le domaine, préférant la pose et le calcul au détriment d’une humilité plus souhaitable. Erreur de casting par exemple avec le procureur Park, interprété par l’affligeant Yu Jun-Sang, préférant poser plutôt que d’être un minimum crédible, ruinant à lui-seul ce que le film tentait d’instaurer avec déjà peu de réussite, à savoir un climat lugubre à souhait, incertain, jamais rassurant. Il rappelle à lui-seul que Kang Woo-Suk sait davantage jouer dans la cour des films d’action plutôt que dans celle des films en huit-clos. Moss n’a pas besoin de ce genre de figure stéréotypée pour exister.
La où un Ishii Takashi a compris qu’utiliser parfaitement un matériau de base dessiné peut donner véritablement vie à un film, Kang Woo-Suk n’en exploite jamais les rondeurs, à peine les contours. En résulte alors un film cadré en scope sans âme ni prouesse, avec des protagonistes enfermés dans leur rôle, dans leur attitude. Le pétage de plombs d’Hae-Kuk en fin de métrage reflète sans surprise l’attitude qu’adopte un personnage qui n’arrive pas à faire avancer l’enquête, le côté serein et finement provocateur du chef de village (au regard perçant, au verbe éloquent), le comportement contradictoire de l’idiot du village ou la jeune femme silencieuse et mystérieuse élèvent Moss au rang de thriller académique, puant le twist final chaloupé à des kilomètres. Il faut aussi voir à quel point Kang Woo-Suk n’arrive pas à se démêler d’une conclusion tirée par les cheveux et pas crédible pour un sou, à canaliser son énergie jusqu’au bout, plongeant le film dans ce que le cinéma coréen a déjà offert avec bien plus de réussite de par le passé : le mélange des genres. Sauf qu’il manque à Kang Woo-Suk l’humilité suffisante, le recul, l’absence de pompiérisme qui rend Moss, et c’est bien dommage, prétentieux alors qu’il n’a rien de bien impressionnant à déballer.