CULTISSIME
Le Lézard Noir est une des grandes oeuvres kitsch des 60's. Adapté d'Edogawa Rampo, le film raconte la lutte d'un polcier pour récupérer la fille d'un diamantaire enlevée par un travesti. Le film, aux couleurs vives et superbes, est habité par la tension érotique entre le travesti et le policier. L'apparition de Mishima en combattant au couteau est culte. En bref, un must pour les fans de cinéma bis.
Fukasakulte...
Akechi est considéré comme le meilleur détective privé du Japon. Sollicité par un joaillier qui craint que l’on enlève sa fille pour lui extorquer le clou de sa collection, Akechi doit faire face à une étrange organisation criminelle dirigée par le mystérieux « Lézard Noir ».
On connaît principalement Fukasaku Kinji pour deux aspects, ô combien réducteurs de son parcours, le Jitsuroku-eiga et Battle Royale. Or, s’il a littéralement fait exploser le yakuza-eiga en quelques années à peine (de 1971 à 1978), si Battle Royale a fait grincer bien des dents en 1999, la carrière du maître s’étend elle sur plus de 40 ans (1961-2003). Ne retenir de son œuvre que ses yakuzas-eigas et son dernier film achevé, revient à laisser sombrer dans un oubli immérité quantité de ken-geki, polars, chambara kitschs, films catastrophe ou fantastiques, space-operas et surtout…Le Lézard Noir.
Le Lézard Noir est le premier élément d’un diptyque d’œuvres décalées qui voient la collaboration de Fukasaku Kinji et l’acteur(trice) transsexuel(le) Miwa Akihiro. Ce dernier interprète le rôle-titre du film, un personnage trouble, ambigu, clairement mauvais mais pas vraiment détestable, entre beauté et laideur, au doux parfum d'équivoque. Resplendissant(e), Miwa s’impose tout au long du film comme son protagoniste véritable, écrasant Usami Junja (qui rentre dans la peau du détective Akechi) de toute sa classe. Fukasaku joue subtilement avec la sensualité nébuleuse de son personnage central et en fait le thème principal de son film.
A vrai dire, l’intrigue centrale n’aurait que bien peu d’intérêt s’il n’y avait Miwa donc, mais aussi l’éclatante mise en scène de Fukasaku qui, tout en conservant ses signatures stylistiques (les cadres penchés, plongées extrêmes, caméras portées et autres incrustations…), imprime à sa réalisation des traits qu’on ne lui connaissait pas encore en 1968, entre esthétique kitsch, scénographie baroque, éclairages surréalistes et musique décalée. La richesse et la beauté du corps filmique qui résultent de cet enchevêtrement d’influences diverses (on sent notamment planer l’ombre de Suzuki Seijun au détour de l’un ou l’autre plan, tout comme certaines atmosphères semblent directement issues de l’univers dérangé de Nakagawa Nobuo) sont presque sans équivalent dans la filmographie de Fukasaku hors yakuza-eiga. Rien n’est laissé au hasard, et l’usage fort habile des gravures stylisées d’Aubrey Beardsley tout au long des apparitions du Lézard Noir mais aussi comme décors accroît le parfum d’étrange dont le film est nimbé.
Toutes ces qualités ne rendent que plus regrettable l’actuelle invisibilité dans laquelle les héritiers de Mishima Yukio maintiennent le film à cause d’une caméo resté culte du célèbre auteur du Pavillon d’Or qui apparaît fugitivement dans le rôle inoubliable d’une poupée vivante.
Inquiétante étrangeté.
Ce film de 1968 est basé sur une pièce de théâtre écrite en 1956 par Yukio Mishima qui s'inspirait lui-même d'un roman éponyme datant de 1929,signé par le maître du policier nippon Edogawa Rampo.
L'aspect feuilletonesque originel sera bien transmis tant dans la pièce que pour ce film de Kinji Fukasaku qui introduit une ambiance sixties-Pop bienvenue,modernisant ainsi une intrigue échevelée, mais en respectant ce côté grandiloquant et érotico-morbide qui marquaient déjà le livre de l'Egdar Poe japonais.
Car si l'histoire rocambolesque est plaisante sans plus,son traitement est trés intéressant,la mise en scène se permettant des libertés et une inventivité constante.Mouvements de caméra,cadrages,photographie,choix de couleurs vives,la forme est vraiment soignée,costumes et décorum kitcho-délirant ajoutant à cette ambiance d'inquiétante étrangeté.
Du couple vedette,c'est Le Lézard noir elle-même qui intéresse surtout Fukasaku,laissant un peu dans l'ombre le détective Akechi Kogorô,alors que les versions littéraires et théâtrales les mettaient sur un plan d'égalité.On ne retrouve plus cette présence incroyable et magnétique d'Akechi,et les sentiments de la super-criminelle pour lui apparaissent du coup un peu surprenants.Le transexuel et ami(e) de Mishima Akihiko MIWA assure une interprétation parfaite du Lézard,son ambiguité sexuelle assurant toute la séduction vénéneuse de son rôle.En comparaison,Isao KIMURA est un peu fade.Quant à la prestation éclair de Mishima qui s'offrait là un caméo réjouissant,on ne s'étonnera pas de le retrouver torse nu avec un poignard planté dans le ventre,mise en image narcisique de son propre corps dans la lignée de son propre film PATRIOTISME (1966) et préfiguration de son prochain Seppuku.Du reste,cette histoire de sexe et de sang ne pouvait que le fasciner,tant elle projette une partie de ses fantasmes par le biais d'un polar décalé.
C'est peut-être aussi pour cela que ses héritiers bloquent les droits du film.Car si LE LEZARD NOIR est malgré tout un peu daté,il est dommage de ne pouvoir le faire découvrir à un plus large pubic,permettant alors de découvrir une facette passionnante de la foisonnante filmographie de Fukasaku,si éloignée de son BATTLE ROYALE.
Mais cette rareté et ses grandes qualités lui donne au moins la légitimité d' un authentique film-culte.
Le sérial, la sérigraphie,...
Il y a une étrange alchimie à l'oeuvre dans ce Lézard noir. Tout d'abord il s'agit d'un film sixties de Fukasaku, avec ce que cela comporte de baroquerie pop chatoyante. Il s'agit aussi d'une oeuvre litéraire d'un auteur qui dans toute son oeuvre n'aura eu qu'une seule obsession, à savoir mettre en scène la tentation du mal, porter la lumière là où l'humanité glisse vers l'amoralité (pas vraiment l'immoralité, Rampo n'est pas chrétien comme Shakespeare), ou la société faillit et ce qui glisse dans les interstices des conventions sociales vers l'animalité (voire la bête aveugle de Masumura, autre grande adaptation d'une de ses oeuvres), la perversion, la monstruosité. Enfin, il s'agit d'une oeuvre qui porte la marque de Yukio Mishima, auteur obsédé jusqu'à la mort par la déchirure de son pays entre modernité et tradition, notoirement homophile, qui amplifie dans sa relecture la dimension érotique du jeu entre le lézard noir de Akechi. Le final de la caverne, déjà présent dans le roman original, résonne comme une caractéristique récurrente de l'oeuvre de Mishima: la fascination pour la beauté du corps, l'obsession de la pureté ascétique de la chair (voir Ken de Misumi, adaptation d'une nouvelle de l'auteur).
Le mélange final est bien sur un serial, un polar un rien manipulateur qui se déroule vers une résolution somme toute assez classique. Ceci dit, toutes ces couches de sens, qui sont la génèse du film lui donne une viande parfaitement délicieuse et troublante. Il y a l'usage des gravures d'Aubrey Beardsley, dont la plupart viennent de son illustration de Salomé, illustration chrétienne de la tentation du mal. Ces oeuvres belle-époque résonnent de façon particulièrement brillante avec le vernis pop et décadent mis en oeuvre par un Fukasaku relativement sobre dans ce film. La musique jazzy, qui installe un tempo relaché à la narration malgré sa relative frénésie, soulignant des dialogues qui vont nulle part et partout, expliquant l'apréhension de ce qui échappe à notre emprise et nous ravit (l'érotisme, la tentation, la beauté...). Mais ce qui est réellement la pierre angulaire du film et crystalise toutes ses directions comme une girouette androgyne perverse, c'est la présence de l'acteur Miwa Akihiro, génialement androgyne. C'est lui qui donne sa coloration délicieusement trouble à la relation entre Akechi et le Lézad noir. C'est lui qui incarne la pureté d'une perversion sans limite, romanesque et fougueuse, tellement pure qu'elle séduit autant qu'elle révulse, qui incarne les abimes de la fascination du mal, le déni de la réalité de la loi et de la mort, fasciné qu'elle est par la beauté du corps, de la jeunesse et de la grace.
Alors oui, Kurotokage est un sérial, assez classique dans son aspect. Mais sous la cendre le feu, celui d'un réalisateur qui capte les forces venues de l'oeuvre originale et de sa réécriture, qui à travers un verni pop branché et une liberté formelle qui permet au film de s'égarer, au contraire lui donne l'occasion de se touver une voix. Celle de pulsions primales de l'homme, de sa fascination la plus viscérale, de ses temptations les plus délicieuses.