La Guerre des clans aurait pu être renommé Le Complot des clans, ou Le Sabre infernal. Comprenons par là qu’il est sans doute la somme des plus beaux travaux de Chu Yuan, une compilation intelligente qui ne cesse de tenir le spectateur en haleine au sein de ce très grand théâtre de trahison, de cette arène des mises à mort.
Sans doute moins nocturne qu’à l’accoutumé, Chu Yuan développera encore plus cette notion de flou et de trouble par l’intermédiaire d’une photographie contrastée, faisant s’enchevêtrer le bleu d’un lagon aux teintes rougeâtres des feuillages et autres fleurs entourant les protagonistes. Des idées formelles sans pareil au studio Shaw ici par petites touches, lorsqu’il faut par exemple quitter la brutalité du monde pour s’arrêter le temps d’une scène en totale suspension dans le repère de la jeune femme musicienne, perdu au milieu de nulle part. Car pour le reste, La Guerre des clans c’est un enchaînement ahurissant de rebondissements et de trouvailles scénaristiques formidables, de personnages marqués et dotés de grands pouvoirs comme ceux de l’Oncle revêtant une tunique qu’aucune lame ne peut transpercer ou encore ce héro qui cache sur lui 72 armes de mort.
Chez Chu Yuan, les tours de passe-passe (comme cette trappe sous le lit de l’Oncle) se marient à l’idée motrice du film : se déjouer du spectateur comme tout bon thriller, à défaut que le genre n’est pas ici cadenassé, il se libère totalement dans cet esprit wu xia fait d’hommes sans pitié qui n’ont pas peur du sacrifice (un homme à la vie dite pitoyable attaquera l’un des clans dans l’espoir d’y trouver la mort), de femmes dangereuses (auparavant il arrivait que le caractère chinois de la femme « 女 » alors associé à un ou deux autres caractères pour n’en former qu’un, avait une connotation négative), de complots et autres trahisons qui ont bâti ce monde. Plus fort encore, Chu Yuan trouve l’émotion lors d’une poignée de séquences d’une grande force émotionnelle dans son dernier tiers.
Epique et d’une complexité scénaristique ici accessible (ce qui ne sera pas forcément le cas des Chu Yuan à venir), La Guerre des clans est une belle lettre adressée au genre, fourmillant de seconds couteaux exploités à merveille. Ces seconds couteaux, lames acérées ou empoisonnées, démontrent combien un film tient ses promesses lorsque le travail réalisé sur les personnages est profond, conséquent. Un vrai travail d’équipe, d’artistes et acrobates affutés.
Le premier coup d'éclat de Killer Clans, c'est d'etre tout le contraire de ce que sera le cinéma de John Woo: là où l'anciennement génial cousin cantonnais de Peckinpah transposera des thèmes de chevalerie dans un cadre de film noir, Chu Yuan introduit dans le wu xia pian des motifs hérités du film noir: la notion de clan, l'idée de l'ennemi infiltré à l'intérieur du clan, la trahison, les codes d'honneur et les obligations du métier de tueur professionnel comme prison pour ceux qui l'exercent, le complot et surtout la notion vieille comme Orson Welles qu'il y a quelqu'un qui controle tout et que les protagonistes ne peuvent échapper dès lors au destin qui leur a été assigné. A cela s'ajoutent des thèmes plus classiques du wu xia pian tels que la ressemblance par delà les antagonismes, l'honneur et la notion de sacrifice. Sauf que ces éléments ne sont pas comme chez Chang Cheh des catalyseurs dramatiques mais des éléments appliqués par les protagonistes dans des circonstances précises.
Quant à la structure narrative, si elle peut dérouter, elle a le mérite de faire qu'au début le spectateur cherche les explications de la série de morts dans le clan et échafaude des hypothèses qui seront infirmées par les flash backs explicatifs parcimonieusement dosés par le récit. Et si l'on y retrouve l'idée de machination le récit n'en est de plus pas pour autant prévisible: les personnages connaissent tellement bien les règles du monde des tueurs professionnels qu'ils savent les failles de ces règles et dès lors se débrouillent pour utiliser ces failles lorsqu'ils sont dans une situation difficile (par exemple sortir par leur seule détermination mentale une aiguille mortelle de leur dos ou encore etre plus traitre que leurs ennemis). Et là où le film est puissant de fatalisme c'est que lorsque les personnages croient trouver en une femme l'occasion de repos et de bonheur sexuel ou amoureux interdit par leur travail ils tombent sur une manipulatrice (la tenancière de maison close) ou une femme sincère mais liée par les liens familiaux à la tragédie en marche. Et le final multipliant les rebondissements semble en outre nous dire que le seul moyen d'échapper à la manipulation du monde des tueurs professionnels est de le quitter à la demande du chef de clan.
Formellement, le film est un enchantement permanent. On y filme parfois à distance pour souligner la petitesse des personnages par rapport au complot en marche. Un autre moyen d'exprimer cette idée est l'usage de la focale qui grandit en les rendant flous les objets qui entourent les personnages -superbe idée des fleurs qui deviennent un anneau les entourant- reflétant ainsi l'idée de force supérieure imperceptible pour la plupart des protagonistes. Si les combats n'ont rien à envier questions figurants à Chang Cheh, ils sont traités de façon sèche à l'image de l'absence de sentiments de cette mafia médiévale. Quant au plan d'ouverture passant du dessin érotique à une femme faisant l'amour dans une maison close, il est aussi l'illustration de la notion de la volonté de mettre à distance les sentiments de l'univers décrit. La vitesse des zooms varie également: normale lors des scènes concernant le jardin de la jeune femme musicienne vu comme un havre de paix, plus rapide lors de la scène érotique du début ou lors des combats (prostituée ou tueurs, dans les deux cas des professionnels sans sentiments). La photographie du film annonce lors de quelques scènes éclairées en bleu ou rouge la Workshop's touch et chaque décor ou morceau de nature a un agencement des couleurs d'un raffinement pictural, picturalité que l'on retrouve dans les cadrages rigoureux du film. Les cadrages renvoient aussi de par l'utilisation du format scope à l'idée de théatre, théatre de la cruauté dans le cas présent.
Chu Yuan est un grand cinéaste. Chu Yuan n'est pas un cinéaste de wu xia pian. Ce n'est ni un enragé comme Chang Cheh ni un mystique comme King Hu. C'est un pourvoyeur d'idées formelles et narratives inouies qui oeuvre à l'intérieur du cinéma de genre. En cela, il n'a par exemple rien à envier à un cinéaste tel que Seijun Suzuki. A l'instar des cinémas américains et japonais dans leurs années fastes, le cinéma de Hong Kong aura aussi eu ses cinéastes les plus casse cou à l'intérieur du système.
Avec Chang Cheh le boucher et King Hu le classieux, Chor Yuen est considéré comme le troisième grand réalisateur de Wu Xia Pian de la Shaw Brothers, même s'il est le moins connu des trois, à tort ou à raison. Devant un film comme Killer Clans force est de constater que cette réputation est loin d'être usurpée, et que ces trois cinéastes se complètent bien pour offrir un panel complet des possibilités du genre.
Killer Clans n'est pas au niveau d'un Golden Swallow pour ce qui touche aux combats, ou d'un Come Drink With Me pour tout ce qui touche à la qualité globale de la mise en scène, mais le scénario très pessimiste entraîne le spectateur dans une sombre histoire de complots à répétition qui empêche totalement de deviner le fin mot de l'histoire. Prenant le contrepied des schémas classiques du genre, il présente les épeistes comme des opportunistes de première qui ne pensent qu'au pouvoir et l'argent, trahissent et sont trahis. C'est la société plus globalement qui est dépeinte avec pessimisme, les femmes (prostitués) ne valant guère mieux que les hommes (épéistes), puisqu'elles cherchent aussi l'argent et le pouvoir. Heureusement, reste deux personnages qui se montrent un peu moins pourris et empêche le film de sombrer dans le noir le plus total. Bref, Killer Clans joue sur le scénario et l'ambiance, et requiert donc une attitude assez active du spectateur pour suivre les retournements de situation.
Sur la base de ce scénario fort habile, Choh Yuen fait de l'excellent travail, bien aidé par des acteurs parfaitement à l'aise dans leur rôle. Malgré la multitude des rôles et la durée finalement assez courte du film, on ne sent pas vraiment de déséquilibre et nombre de seconds rôles sont intéressants (avec en tête l'alcoolique, symbole vivant de l'échec de l'épéiste traditionnel). Les combats sont plutôt bien réglés et intenses, même si vu l'année on aurait pu espérer un résult supérieur. Mais on est tout de même bien au-dessus de la moyenne, les acteurs sont quasiment tous crédibles une épée à la main, ce qui relevait encore du miracles quelques années avant. Bref, avec Choh Yuen, vous pouvez être assuré d'une chose: les personnages sont crédibles, que ce soit dans l'action ou le reste. Ce réalisateur savait dénicher un bon scénario, diriger ses acteurs et manier une caméra. Tout simplement.
Au final, Killer Clans est au Wu Xia Pian ce que le polar noir est au polar, un genre dans le genre, plutôt rare et donc surprenant. Bien interprété par des acteurs charismatiques, bien mis en scène, bien rythmé et truffé de petites idées de scénario (les stratagèmes déployés par les protagonistes pour masquer leur jeu sont parfois diaboliques), c'est du TRES solide.
Petit commentaire à chaud : il est long ce film. Par contre il se passe tellement de chose qu'on a du mal à croire que ça tient en 1h40. J'ai en effet été très surpris par la consistance du scénario, entre les rebondissements à répétitions qui s'y passent. D'ailleurs, pendant un moment j'ai raté deux sous-titres et j'ai failli perdre le fil ; il a fallu du temps pour me ré-adapter et savoir qui a trailli qui. Sinon pour les comabts, c'est plutôt joli et ça reste dans le genre de ce que j'ai pu voir au niveau SB (arretez moi si je dis une bétise). En tout j'ai passé un bon moment, même si je ne le mets pas au niveau de mes wu xia préférés.
Une course pour le pouvoir, un jeu de mort aux accents réalistes et historiques qui demeure profondément ancré dans la fiction la plus totale encensée par une poésie visuelle omniprésente. Un énorme classique qui révolutionne les relations héros / méchants de façon radicale et se permet un flot constant d'électrochocs et de retournements de situation au milieu d'une mise en scène superbement maîtrisée déployant tous les moyens de la Shaw et le talent artistique et technique de Chu Yuan. Une adaptation d'un roman de Gu Long magistrale.
En une phrase :
- à l'oriental : "il est plus facile de combattre le sabre ennemi que celui de l'ami qui vous trahit".
- à l'occidental : "Rien n'est si dangereux qu'un indiscret ami, Mieux vaudrait un sage ennemi."
Un sommet.
Ku Feng, Lo Lieh et Yueh Hua 4ever !