Xavier Chanoine | 3 | De la grâce, de l'intimité et des sourires à n'en plus finir |
Ordell Robbie | 3 | Les forces et les limites de Suzaku, déjà. |
Kawase Naomi n'en est pas à son premier documentaire. Katasumori, bien meilleur que son épileptique Dans ses bras tourné deux ans plus tôt, est une vraie réflexion sur la vie, la jeunesse, la vieillesse et toute forme de vie que l'on peut trouver dans une simple petite bourgade du Japon. Par l'intermédiaire de sa caméra Super-8, la très jeune cinéaste amateur en herbe harcèle volontairement sa grand mère, amusée par la vocation de cinéaste de sa petite fille. Ce qui est extrêmement intéressant chez Kawase, c'est ce sens peu commun de délivrer dans chaque plan un véritable message sur la vie. Ici, les jeunes pousses de petits pois sont manipulées, chéries par les mains expertes d'Uno qui même à 80 ans possède une véritable joie de vivre et un sens redoutable du travail : mentalité japonaise pleine de rigueur qui trouve ici quelques instants fugaces de joie de vivre, du plaisir de tous les jours, du bonheur apporté par une jeune femme de 25 ans qui ne terminera pas vieille fille contrairement à ce qu'elle peut laisser supposer ici. Son sourire n'a d'égal que la grâce de certains cadres proprement sublimes annonçant son travail à venir aussi bien dans l'exceptionnel Suzaku que dans Shara dont ce Katasumori distille ça et là un brouillon de luxe : la jeune fleure rose au premier plan et la grand-mère au second plan, superbe métaphore de la confrontation jeunesse/vieillesse, les nombreux plans sur le robinet qui goutte comme métaphore du temps qui s'écoule, les plantations soigneusement réalisées par Uno dont Naomi focalise son objectif comme pour souhaiter une seconde renaissance ou une éternelle jeunesse à sa grand-mère dont le temps n'aura pris que l'aspect extérieur.
Il est d'ailleurs intéressant de noter que Naomi n'hésite pas à étirer en longueur les gros plans sur le visage de Uno, gênée par l'attitude plus que spéciale de sa petite fille, mais qui pourtant trouvent une vraie justification : l'attachement charnel d'une petite fille et de sa grand-mère, la curiosité d'une gamine face à une peau âgée (Naomi la touchera plusieurs fois comme lorsqu'elle touche la silhouette de sa grand-mère séparée par une vitre), la réflexion sur l'âge captée par les nombreuses symboliques de la nature, tout confine au vrai travail réfléchi et pensé dans les moindres détails malgré la faiblesse évidente des moyens et le manque de soin du fait des conditions de tournage "naturelles". Les mauvaises langues diront parfois que Kawase Naomi se regarde déjà filmer notamment par la présence de son ombre sur certains plans, mais il en résulte un vrai regard de cinéaste, une véritable implication dans ce projet que l'on retrouvera de nouveau dans ses prochaines réalisations la mettant très souvent en scène. A noter que l'utilisation du hors champ est remarquable notamment dans l'utilisation de la bande-son aux notes de biographie narrée par la grand-mère de Naomi, ou lors du dernier plan confinant davantage à percer l'intimité de cette petite famille. Très souvent emporté par la grâce, la Kawase Naomi étant l'une des rares cinéastes actuelles à donner cette sensation que chaque objet, chaque plante ou pousse est habitée par un esprit. Peut-être est-ce dans le vent, dans l'eau ou la terre, qui sait...