Quelques éclaircies mais les propos sont un peu troubles
Après un second opus dédié au Judo particulièrement anti-américain dans ses fondements, Kurosawa change de trajectoire pour abandonner ses figures terrassant le "mauvais" occidental pour davantage s'orienter vers un discours plus avenant en ce qui concerne la jeunesse nippone, le courage de ceux et celles qui se battent pour leur pays et tout particulièrement cette femme, Yukie, interprétée par une Hara Setsuko dans l'un de ses premiers vrais rôles de femme forte, soit dix ans après sa première participation cinématographique chez le regretté Yamanaka Sadao. Je ne regrette pas ma jeunesse évoque la jeunesse étudiante et le désire de plusieurs de ses représentants à se dépasser dans un chemin semé d'embûches. Yukie, jeune fille d'une famille relativement aisée, décide de tout plaquer pour rejoindre celui qu'elle aime après des années de silence. Les retrouvailles ne vont pas être de tout repos et à Kurosawa de faire preuve d'une belle vitalité pour mettre les choses à leur place. Car ce qui heurte de prime abord, c'est le rythme effréné du film, sa succession d'images fortes que l'on peut mettre à l'actif d'une recherche de l'audace formelle que l'on ne trouvait pas dans ses oeuvres précédentes. Si ses opus narrant Sugata Sanshiro étaient formellement réussis (tout du moins le premier), l'audace formelle ne transparaissait que très rarement, le film étalant les plans réussis sans pour autant déborder d'inventivité. Leur beauté était éclatante, certes, mais Je ne regrette pas ma jeunesse semble être plus disposé à véhiculer la fougue du jeune cinéaste : si certaines d'entre elles paraissent étonnamment vieillottes de nos jours, la plupart des images "fortes" du film témoignent d'une drôle d'inventivité comme cette succession de plans montrant Hara Setsuko dans des positions différentes en attendant de faire le bon choix, cette avalanche de gros plans sur les visages méprisants des villageois, ces panoramiques sur les jeunes étudiants gambadant dans la forêt, Kurosawa n'a pas la virtuosité et la maîtrise totale qu'il aura dans les années à venir, notamment à partir du monstrueux L'Ange Ivre, exceptionnelle réussite en annonçant bien d'autres, mais cette faculté à définir le rythme est flagrante, accentuée par les nombreux plans sur les gros titres des journaux, qu'il reprendra en partie dans l'inégal mais très souvent superbe Scandale.
Pourtant, Je ne regrette pas ma jeunesse n'arrive pas à convaincre pleinement. En toute subjectivité, le thème est déjà casse-gueule pour le spectateur qui découvre le film plus de 60 ans après. Cette sensation de prôner les valeurs du japonais jeune et vaillant, combatif et droit dans ses positions finit par agacer du fait d'un léger parfum de propagande émanant de l'oeuvre dans son ensemble. Le spectateur est alors assailli par toute une palanquée d'images à répétition sensées évoquer cette donne : les jeunes étudiants japonais cueillant des fleurs sous un soleil radieux, l'importance accordée au sensei et le matraquage des discours politiques, les interminables séquences où Yukie (alors une méconnaissable Hara Setsuko) laboure les champs et plante le riz en compagnie de la mère de son défunt fiancé, sa marche forte et déterminée face aux paysans méprisants la traitant d'espionne (encore plus alourdie par les gros plans sur leurs visages dédaigneux) et cette musique parfois pompière minant un discours que l'on aurait aimé plus sobre de la part d'un tel réalisateur. En cherchant bien, l'on trouve tout de même des qualités annonçant le futur du cinéaste : ces portraits finement sculptés que l'on retrouve tout au long de la carrière de Kurosawa, aussi bien celui de Yukie (la jeune fille qui devient femme puis femme responsable), celui de Noge, celui de son père résigné, celui des flics crapuleux que l'on retrouvera lors de sa veine noire, et si la figure héroïque transparaît uniquement via le personnage de Yukie (voir même via celui du père de Noge, qui abattu durant tout le film trouve le courage se lever et de jeter les pancartes discriminatoires), elle est suffisamment mise en exergue pour débouler à une vraie continuité dans la carrière du cinéaste, figure incarnée plus tard, entre autre, par Mifune.
Que de regrets...
Je ne regrette pas ma jeunesse commençait plutot pas mal. Kurosawa démontre ici bien des années avant la Forteresse Cachée ou l'Idiot l'inanité de certains commentaires critiques lui reprochant de ne pas etre capable de dépeindre des personnages féminins aussi forts et consistants que ses héros masculins. Ce qui semble surtout intérésser Kurosawa ici semble moins les enjeux idéologiques de son script que la façon dont les évènements décrits affectent la vie de Yukie. Ses motivations dans le récit sont bien moins politiques que personnelles, en particulier sur la fin. Pour le reste, la mise en scène est correcte sans etre transcendante et ses quelques audaces ont mal vieilli. L'usage de la superposition d'une horloge sur l'image de Yukie pour montrer le temps qui passe fait dans le sursignifiant, le lourdement symbolique. De meme que les enchainements de plans la montrant prenant diverses poses était peut etre audacieux à l'époque mais désormais cela ressemble à du cliché visuel. Le film se laisse pourtant suivre dans sa première moitié grace au talent pas encore totalement développé mais déjà présent d'Hara Setsuko. Vient ensuite la seconde moitié qui fait virer le film au mauvais mélodrame avec figure féminine subissant le pire sans broncher. Hara Setsuko n'est alors pas crédible une seule seconde en kolkhozienne made in Japan et l'ennui prend alors très vite le dessus. Le film est certes meilleur que le second Sugata Sanshiro mais loin de confirmer les belles promesses de la Légende du grand judo et des Hommes qui marchent sur la queue du tigre. Ce qui sera chose faite deux ans plus tard...
Wild at heart
Sous couvert d'une véritable fable politique, Kurosawa aborde une nouvelle fois sa thématique la plus chère de son oeuvre: le façonnement individualisé dune personne par le dépassement de soi.
Son premier film a être réalisé après la fin de al seconde Guerre Mondiale, il aborde – après "A morning with Osone Family" de Kinoshita Keisuke et "La victoire des femmes" de Mizoguchi un autre plaidoyer pour la libéralisation de la femme. Entre choisir une vie normale (et ennuyeuse) avec Itokawa ou, celle, incertaine (et excitante) avec Noge (ou "Wild" dans certaines versions internationales), la jeune Yukie opte pour la seconde – et ne sera pas au bout de ses peines. Malgré l'écriteau en début du film affirmant que les personnages sont de purs produits de fiction, celui de Noge rappelle Ozaki Hotsumi, condamne (et exécuté au mois de novembre 1944) pour avoir été pensé un espion à la solde des soviétiques.
"No Regrets for the youth" s'inspire de l'épisode pour introduire aussi bien des larges valeurs communistes (ou de l'extrême-gauche) par l'option finale d'une vie communautaire et campagnarde, mais aborde tous els problèmes de la trouble période politique: la montée du fascisme en début du métrage; les idées de résistance; l'exécution du "traître" Noge (sans doute par la torture); la fin de la guerre; le rejet des villageois envers la famille de Noge et une certaine prise de conscience par le personnage des parents. La fin sous-tend même "l'heureux" dénouement sous l'occupation américaine – issue discutable en vue du visage empreint d'une certaine mélancolie de Yukie.
Scénario maladroitement retranscrit sur grand écran, l'histoire part un peu dans tous els sens et aurait mérité d'être bien plus resserré. Hara Setsuko ne maîtrise pas toujours la palette des sentiments extériorisés de son personnage et sur-joue à la rendre quasiment folle; elle convainc bien davantage en paysanne reconvertie en fin de métrage. Effectivement, quelques effets de réalisation paraissent aujourd'hui quelque peu vains, mais témoignent d'une réelle volonté d'expérimentation du jeune réalisateur fougueux autrement plus audacieux et inventif sur son premier long-métrage. D'ailleurs, le façonnement du personnage de Sanshiro avait été bien plus maîtrisé et symbolique, que celui de la jeune Yukie.
Il n'en reste pas moins une petite œuvre ambitieuse, pleine de volonté à transcender le simple genre de la romance mélodramatique et posant le doigt sur des mauvais cas de conscience politiques quelques mois seulement après la défaite du Japon.
Très loin de la formelle maîtrise ultérieure du réalisateur, mais un film mineur à découvrir parmi ses débuts à la réalisation et à reconsidérer dans sa prolifique filmographie.
Un intérêt historique, sans plus
Le titre est d'une ironie toute particulière : la thèse apparente est en effet conforme aux injonctions des occupants américains, "c'est pour le bien du Japon qu'on a perdu la guerre".
Le film, un tantinet ennuyeux avec son scénario invraisemblable (Kurosawa ne semble pas y avoir pris une grande part), ses coups de théâtre téléphonés, et ses flash-back interminables, a l'air sorti d'un studio soviétique, à l'image de la belle Setsuko Hara : qu'elle soit à son piano ou sur le camion de son kolkhoze, on est tout étonné qu'elle ne parle pas russe.
Tout de même, voir Kurosawa filmer des scènes d'amour (qui sont d'ailleurs étonnamment belles, à moins que leur retenue ne contraste avec le reste), Takashi Shimura jouer le flic odieux, ou Eiko Miyoshi en oka-san traditionnelle mais avec une fourchette et un couteau, ça surprend.