Grande richesse humaine
Sans aucun doute, Doyle est l'un des personnages les plus fascinants du 7ème Art. Non content d'être à la fois un monstre de charisme, un auteur à part entière dans un univers qui lui est propre, un chef opérateur redoutable lorsque bien imbibé
"Quand je vais à HongKong, je repars avec trois idées. Peut-être cinq avec une bière en plus", et un preneur d'images ou d'instants banals pour les transformer en véritable oeuvre d'art, il est aussi une personne libre. Libre de tourner à sa manière car il détourne les barrières imposées par les hautes instances hollywoodiennes lorsqu'il s'expatrie, Doyle s'en fiche éperdument. Le documentaire de Montmayeur réfléchit bien l'image de cet homme, ce clown inspiré attendrissant car "bien". Bien car tout en contraste, lorsque Doyle semble être mis rond à longueur de journée, ça ne l'empêche pas de prier devant le premier autel Bouddhiste qu'il trouve en chemin et de nous sortir un dicton philosophique. Lorsqu'il se ballade en ville, comme un gosse attendrissant, il s'extase devant un quartier coloré qu'il n'avait jamais vu. Il nous fait rentrer dans son appartement, modeste, passionnant et bordélique, à son image. La scène anthologique de Faye Wong dans
Chungking a été tournée ici, comme la plupart de ses travaux, tournés sur 5km à la ronde.
Dommage que le documentaire ne s'axe pas que sur Doyle, personnage que l'on aimerait écouter encore plus. Ses intervenants font le boulot, d'une Farini Cheung modeste et intéressante à un Fruit Chan inspiré, tous témoignent de leur attachement pour la personne et pour le boulot qu'il fait. On y apprend aussi de belle chose, comme cette étonnante et très chargée affiche d'un film que Wong Kar-Wai n'aura jamais tourné, prise en toute illégalité à Tian'Anmen. Mais si un documentaire a un but avant tout informatif, la force de In the Mood for Doyle réside dans son approche humaine : que dire de ces instants passés dans un salon de coiffure, où Doyle prend la pose avec les employées? Lorsque ce dernier évoque ce fameux travelling de In the Mood for Love dans un couloir d'une résidence familiale, il confie que cet endroit, c'est leur endroit et qu'en quelque sorte, le film, c'est leur film aussi. Ils lui ont donné ce décor, à Doyle de leur donner ce film. Chapeau bas.
Et merci au Festival Paris Cinéma d'avoir organisé un hommage autour de ce personnage.
Attachant portrait d'un artiste complet
Doyle est un vieux fou génial, et il en est pleinement conscient : sur les tournages, il sait parfaitement vendre sa folie visionnaire, une valeur ajoutée des plus précieuses dont raffolent de nombreux cinéastes du monde entier. Ce documentaire permet donc de faire mieux connaissance avec cet homme excentrique, passionné et fascinant, que l’on suit sur ses lieux de tournage favoris ; dans le vieux Bangkok tout d’abord, avec la cultissime ruelle d’In the Mood for love, puis dans des recoins de Hong Kong qui l’inspirent tout particulièrement (cf. l'hilarant "hôtel 5 étoiles"...). En Asie, ce sont pour lui les endroits insolites qui créent une atmosphère au film, et deviennent un personnage à part entière, même de façon inconsciente. Tout le contraire des méthodes américaines auxquelles il a du se conformer pendant le tournage de la Jeune Fille de l’eau (M. Night Shyamalan), lors duquel il s’amuse à remarquer que si « le décor n’est pas exactement comme décrit dans le contrat, la production serait capable de lui coller un procès au cul ! ».
Témoignages de cinéastes ou d’acteurs qui l’ont côtoyé abondent, au risque de placer paradoxalement Doyle au second plan. On ne se serait pourtant pas lassé de suivre ce personnage haut en couleur de manière plus explicite, n’ayant même pas le plaisir de le voir parler cantonais couramment. Mais cette ballade dans les coulisses du 7ème Art vaut cependant largement le détour.
L'image d'un homme
Une passionnante incursion dans le travail d'un vrai artiste.
Autodictate (et après avoir enchaîne les 1001 boulots, dont marin), Doyle s'est mué au cours de sa carrière en un vrai artiste, dont le travail est désormais reconnaissable d'entre tous. Il aura véritablement forgé le personnage "Wong Kar-Wai" et re-lancé l'œuvre de Pen-Ek Ratanaruang dans une nouvelle direction tout à fait inédite. Une démarche bien personnelle – ou plutôt une forte personnalité – comme en témoignent les interviews des réalisateurs Night Shyamalan ("La Fille de l'eau") et Fruit Chan ("Nouvelle Cuisine") aux propres univers forts imprégnés de leur "patte" personnelle". Dommage seulement, que le documentaire ne tente pas davantage à éclaircir les précédentes vies du chef-opérateur et sa soudaine prise de passion pour ce métier.
Tout comme le spectateur restera un peu sur sa faim concernant la quintessence de travail de Doyle. Le documentaire donne un bel aperçu de l'esprit bouillonnant du principal intéressé, comme il revient en détails (et aux endroits du tournage) sur quelques-unes des plus mythiques séquences des films auxquels Doyle a collaboré. En revanche, il aura été encore plus passionnant de s'immerger encore davantage dans le travail du chef-opérateur, depuis sa collaboration avec les réalisateurs en amont du tournage jusqu'au tournage et la post-production; mais sans doute aurait-il fallu bien plus de temps passé en la compagnie d'un homme, que l'on devine finalement assez insaisissable.
Seul vrai bémol à apporter au documentaire est son "détour" par une explication brouillonne (car?) trop rapide de l'actuel cinéma hongkongais.