Une des grandes questions du cinéma de genre est son acclimatation, son adaptation à des codes esthétiques et narratifs, à une réalité locale. Si l'on en reste au film d'épouvante, les exemples les plus éloquents ont été donnés par l'Italie et plus récemment le Japon. Pour l'Italie, des réalisateurs tels qu'Argento ou Fulci ont fait d'un cinéma essentiellement narratif une aventure sensorielle, lui ont adjoint une photographie aux chromas vifs héritée du giallo, cette relecture locale du thriller. Coté japonais, Nakata Hideo ou Kurosawa Kiyoshi ont introduit dans le genre une lenteur contemplative héritée de toute une tradition du cinéma japonais. Le problème d'Inner Senses est de ne pas se poser ce type de question. Car à quelques détails près cette histoire serait directement transposable à New York par exemple: la musique, les dialogues, la progression narrative et psychologique sont ceux de n'importe quelle série B américaine. La photographie bleue claire, qui fonctionnait à peu près dans Double Tap, crée ici une impression de fadeur peu en accord avec son sujet (la comparaison avec la belle photographie claire-obscure des Autres par exemple ne tourne pas à l'avantage du film). L'interprétation de Leslie Cheung est plus convaincante que dans ce dernier film mais son personnage est également plus stéréotypé.
On cherche en vain un élément qui sortirait le spectateur de l'impression de déjà vu en mieux. Mais la conséquence le plus grave -surtout pour un film d'épouvante- est alors que chaque surgissement de fantomes devient très attendu, bref qu'Inner Senses n'arrive pas à faire peur. Sans parler du coup de théatre foireux en forme d'inversion des points de vue: le changement de point de vue narratif est très difficile à faire au cinéma sans faire vaciller un édifice narratif à moins de s'appeler Uchida, Mann ou Tarantino. A partir de là, la baudruche se dégonfle et le film passe du terne au mauvais. Au niveau mise en scène, le film est mieux réglé d'un point de vue rythmique que Double Tap mais souffre comme lui d'un manque fort d'originalité de sa réalisation.
Si on pourrait etre reconnaissant à Law Chi Leung d'aller à contre-courant d'une certaine tendance hongkongaise clippeuse, il reste qu'il a un style très quelconque. A l'image d'un film incapable de se distinguer...
A mi-parcours de l'année 2002, on peut dire que cette année est vraiment catastrophique pour le ciné HK(contrairement à 2001 qui a su fournir des productions de qualité) et le seul vrai bon film à être sorti en six mois reste July Rhapsody(et sans doute Hollywood, Hong Kong dont la sortie se fait attendre).Chaque semaine voit débouler soit des comédies romantiques, soit des films d'horreur et malgré la petite hype dont Inner Senses a bénéficié, force est de constater que c'est loin d'être le film qui va changer la donne.
L'idée de départ légèrement pompée sur Le sixième sens n'est déjà pas d'une originalité folle mais bon, l'avantage est que ce type de scénario permet de jouer à différents niveaux d'horreur et le film joue cette carte en faisant douter le spectateur de la véracité de ce qu'il(placé dans un premier temps du point de vue rationnel de Leslie Cheung) voit à l'écran. Dès le départ, on peut déjà noter que pour une fois, la photo est plus travaillée que d'habitude(parfois identique à certains plans de Double Tap serais-je tenté de dire) et ça change des éclairages de couleur violents des séries B HK mais il faut quand même se dire qu'en fait, cette photo est un peu le minimum syndical à l'échelle internationale pour ce genre de films et l'esthétique du film a quand même du mal à réellement se démarquer de ses congénères à ce niveau. Dans cette première partie aussi, on se heurte vite face à l'un des gros défauts du film, c'est cette propension à mélanger scènes psychologiues et de dialogue à des scènes de terreur pure bien lourdes car peu originales et surtout basé sur les effets sonores et la musique peu discrète qui surlignent au gros feutre au spectateur quand il faut sursauter ce qui donne constamment cette impression d'être poussé dans le dos, que tout recul est impossible par rapport à ce que la mise en scène nous offre.
Néanmoins, cette première partie(certes très prévisible et balisée) se révèle d'honnête facture et se laisse plus ou moins suivre sans que cela soit transcendental et on retrouve avec plaisir Norman Chu et Waise Lee dans des rôles secondaires. Mais à mi-chemin, on a droit à un véritable retournement de situation qui fait échanger les points de vue entre les deux personnages(et du spectateur par conséquent) et à partir de ce moment, le film court droit à sa perte. Cette seconde partie apparaît comme redondante, une fausse bonne idée qui pousserait le spectateur à reconsidérer la première partie du film et ses flash-backs mais le scénario tourne très vite en rond(et sent fort la redite) et il faut bien avouer que Leslie Cheung n'est pas très crédible dès qu'il s'agit de faire le mec apeuré et au bout du rouleau. On arrive enfin à la conclusion et là, le film se saborde de lui-même en offrant un final qui arrive à mélanger grand-guignolesque et sentiments très culcul, résultat: on est plus écroulé de rire qu'on est ému ce qui ,enterre définitivement le film.
Inner Senses est juste un pétard mouillé et il faut bien se rendre à l'évidence que ce n'est pas demain la veille qu'Hong-Kong arrivera à produire des films d'horreur sérieux( Bio Zombie ayant utilisé inteligemment la carte du second degré pour éviter de tomber dans le ridicule)dignes de ce nom.
Après leur collaboration assez efficace sur Double Tap, on attendait un peu mieux du duo Law Chi-Leung / Leslie Cheung. Inner Senses tente d'apporter une approche un petit peu différent au genre, et malgré quelques idées intéressantes et le sérieux de la réalisation et l'interprétation, le film pêche pas manque d'intérêt sur la fin.
Il faut dire que depuis le Sixième Sens, les phrases comme "je vois des fantômes/personnes mortes" sont devenues un peu trop communes pour susciter l'intérêt. Surtout que le film de M. Night Shyamalan a placé la barre très haut avec sa réalisation classique mais efficace. Ici le traitement du film est plus réaliste, avec un scénario cherchant probablement à volontairement imiter Le Sixième Sens pour leurrer un peu le spectateur. Ensuite il joue sur l'existence ou la non existence des fantômes, utilisant habilement la thèse de Jim pour nous faire douter. Autant cela laissait du suspense lors de la première partie du film, autant la seconde pêche par manque d'originalité et une réalisation moins prenante.
Les acteurs s'en tirent pourtant assez bien, Leslie ne forçant pas trop son talent avec un personnage à nouveau un peu trouble comme dans Double Tap, mais moins impressionnant. La jeune Karena Lam est assez convainquante, mais ne peut guère impressionner avec un rôle évoluant de manière un peu trop abrupte. On appécie de revoir Waise Lee évidemment, même si son rôle n'a rien de fantastique, ainsi que Norman Chu méconnaissable. Quant à la musique, elle se montre assez efficace, et on apprécie le soin apporté à l'ambiance sonore, même si celle-ci est assez classique et sans surprise.
Au final, Inner Senses déçoit. Il y a de bonnes idées dans ce scénario, dont la principale est de ne jamais réfuter aucune des deux hypothèses (fantômes/disfonctionnement cérébral) et de jouer jusqu'au bout dessus. Hélas cela ne suffit pas à rattraper le dernier tiers qui m'a semblé bien moins efficace. Il vaut toujours mieux débuter mal pour bien finir que l'inverse. Le film présente cependant suffisamment de qualités pour plaire à certains, mais ses défauts sont hélas également suffisamment importants pour en rebuter d'autres. Difficile de le conseiller ou le déconseiller.