Elise | 0 | Un film dont le projet n'aurait même pas du être évoqué |
Ordell Robbie | 3.5 | Dérive fascinante |
Ghost Dog | 0.5 | Une arnaque au souvenir. |
Yann K | 3.5 | Sur la déroute... |
Avec H Story, Suwa Nobuhiro confirme sa place à part dans le cinéma japonais et mondial. Certes, ce beau film en forme de mise en danger permanente divise forcément, suscite chez certains l'exaspération comme tous les projets artistiques radicaux et audacieux (ce n'est pas Tsui Hark qui dirait le contraire...). Non, ce n'est pas le film parfait mais bien mieux le film d'un casse-cou qui bien sûr rate parfois sa cible, ce qui est tellement préférable aux rentiers qui peuplent une grande partie de la planète cinéma.
Comme beaucoup de grands cinéastes asiatiques contemporains (Kitano, Wong Kar Wai entre autres), Suwa arrive à faire du rythme de son film son sujet-même. Les claps, le son coupé au début et à la fin de chaque prise, les fondus au noir, les flashs, tout cela érige H Story en film de cassure et film sur la cassure: cassure entre l'Hiroshima d'hier et d'aujourd'hui incarnée par les différences de texture entre les images du passé et du présent dans le film, cassure entre une actrice et le reste de l'équipe du film (l'utilisation de la focale, figure de style qui sépare les personnages), cassure entre l'évènement et la représentation que les artistes en font (le musée d'oeuvres d'art commandées pour les 50 ans d'Hiroshima), cassure entre un projet et sa réalisation (incarnée au coeur du film par l'alternance répétitions de scènes/images et citations du film de Resnais) qui culminera dans son abandon final. Si Suwa n'arrive pas à expliquer son projet, ce n'est d'ailleurs pas parce que ses intentions sont vides mais parce que ce projet se modifie en permanence au cours du tournage, en fonction des acteurs, de la chef-opératrice, des surprises initiées par Suwa (l'introduction de Machida Kou en tant qu'acteur que Dalle va ensuite véritablement rencontrer malgré la barrière de la langue).
Mais le véritable centre de H Story est Béatrice Dalle qui offre sa seconde grande prestation de 2001 avec Trouble Everyday (autre grand film de la prépondérance du corps sur la parole comme moyen d'expression d'ailleurs). Elle peuple chaque plan de son immense charisme physique et est magnifique en ce sens qu'elle essaie de jouer contre le texte de Duras: là où une Emmanuelle Riva glaçait le sang du spectateur avec son jeu très théâtralisé, Dalle offre une fraicheur bienvenue et susurre son texte, donnant ainsi à entendre une petite musique basse mais captivante. Très vite, à l'image du passé d'Hiroshima, la force du texte s'impose néanmoins à elle (lors des entretiens en parallèle au tournage Dalle parle de la splendeur de l'ecriture du texte de Duras qui rend pardoxalement plus horrible l'évènement décrit), finit par triompher: au début du film, on voyait différentes prises d'une même scène où l'on ressentait l'effort de Suwa pour obtenir de Dalle une prestation toute en lassitude; désormais, Dalle n'arrive plus à retenir son texte ni à le dire, montre son exaspération, sa colère qu'elle fait subir à l'équipe du film. Car comme le remarque Suwa elle est arrivée au stade qu'il fallait pour pouvoir bien jouer son texte mais n'arrive pas à utiliser efficacement cet état pour son rôle. Ces moments-là du film où l'on voit Dalle dans un état détruit, usé et las sont parfois drôles, souvent touchants mais en tout cas magnifiques de liberté.
C'est justement l'échec du projet du film qui va faire que la liberté annexera totalement l'oeuvre. La parole a été impuissante pour que les individus communiquent et dès lors Suwa s'en remet au langage du corps et des sens au cours de la virée finale de Machida Kou et de Béatrice Dalle dans le Hiroshima moderne où le passé pesant côtoie l'insouciance des musiciens de rue. Car ces deux êtres qui ne parlent pas la meme langue vont se comprendre par le regard, le toucher, vivre un amour fusionnel par delà le langage: en somme, au milieu d'une ville où demeurent des traces du passé (les images documentaires, le musée), ils vont vivre ce qu'ils n'ont pu jouer, à savoir la passion de deux êtres par delà toutes les barrières (et Suwa substitue la barrière du langage à celle vainqueur/vaincu de la guerre), et c'est en cela que H Story rejoint in fine le film de Resnais. Ce rapprochement des êtres trouve alors un écho dans le rythme du film dont les cassures sont de plus en plus espacées au fur et à mesure pour laisser la durée des plans se déployer dans les dernières scènes où les êtres ont enfin trouvé l'espace dans leur vie et dans le film pour se découvrir et s'aimer.
Certes, certains choix sont à la frontière du tic de mise en scène (l'effet de coupure de son souvent répété pourrait irriter; il n'y parvient pas parce qu'il n'est heureusement pas le seul moyen formel pour le cinéaste d'exprimer l'idée de cassure et que du coup le piège de la pose arty est évité sur le fil), le film comporte quelques petites longueurs, il manque parfois se prendre à son propre piège -faire un film sur l'inaboutissement du cinéma et de l'art en général comme moyen d'expression pour ce qui est de rendre compte de l'horreur de certains évènements historiques c'est risquer à chaque plan de se couper émotionnellement du spectateur même si cela n'arrive que rarement ici-. Mais H Story fascine le spectateur tout en lui échappant parfois et incarne en cela la puissance féline de son interprète principale qui n'a jamais été aussi bien captée. Et l'on est prêt à l'avenir à suivre Suwa s'il continue à s'aventurer sur des routes glissantes quitte à être déroutés.
Si M/Other, le précédent film de Suwa, déroutait totalement voire énervait, il avait cependant éveillé en moi un certain respect pour cet auteur qui osait filmer des plans séquences de plusieurs minutes afin de laisser s’exprimer au mieux ses acteurs interprétant une famille qui se déchire. Mais ce respect est retombé comme un soufflet après la vision de H Story, qui est un non-sens total. Ma mère m’a appris à me taire quand je n’avais rien à dire, gageons que Suwa n’a jamais eu de mère…
Le concept de départ était intéressant : réaliser un remake de Hiroshima mon Amour 40 ans après par un natif d’Hiroshima qui sentait qu’il était de son devoir de parler de l’apocalypse du 6 août 1945, dont il ne reste plus guère qu’un musée, un livre et un film, ainsi qu’une vague idée dans la tête de chacun. Mais au lieu d’en faire quelque chose de personnel, de parler de sa famille, de son expérience, de son enfance à Hiroshima, Suwa a choisi le parti de se filmer, lui, ses techniciens et ses acteurs, en train de réfléchir à ce remake qui n’aboutit finalement à rien. Cette démarche plus qu’étrange, même lui a du mal à la justifier lorsque le scénariste l’interroge… Pourquoi serait-ce au spectateur de l’expliquer alors que le metteur en scène n’a pas fait son boulot ?
Dans le premier rôle le plus difficile de sa vie, Béatrice Dalle se demande du début à la fin ce qu’elle est venu foutre dans cette galère (c’est pas moi qui le dit, c’est elle !), sur un tournage où personne ne semble savoir ce qu’il veut et où inspiration, imagination, enthousiasme et idées sont bannies du dictionnaire. Et puisque presque personne ne parle un mot de français, l’incapacité à communiquer et à partager ses expressions se transforme au fil des minutes en un silence pesant, ennuyeux et pénible. Le film se délite dans un enchaînement de plans fixes tous plus vides les uns que les autres, jusqu’à ressembler à un ensemble de rushes qui n’auraient jamais dû quitter la salle de montage. On n’apprend finalement strictement rien (à part que Hiroshima s’est relevé de ses cendres et que maintenant la vie a repris comme si de rien n’était) et, comble de tout, on préfère oublier très vite un film dont le thème principal est l’oubli…
Les Cahiers ont affirmé que H Story inaugurait un renouveau du cinéma, « le printemps du cinéma ». Eh bien je peux vous garantir que si le 7ème Art ressemble à ce film dans les années à venir, je préfère me pendre sur le champ !
H Story déroute, et c'est fait pour, puisque c'est l'histoire d'une déroute, filmée avec un style en perpetuelle mutation, à tel point qu'on ne sait parfois plus qui a décidé des plans (puisque le réalisateur lui-même est à l'écran) et si nous sommes face à un documentaire ou une fiction. Il déroute même pour qui a vu M/other, souvent en plans séquences, alors que H Story est très découpé. Il déroute à tel point que, même fasciné par cet objet très libre, on peut se demander si, au final, le film ressemble à quelque chose. Précisons qu'il est heureusement inutile de connaître ou d'aimer Hiroshima mon amour (pour moi, le comble du chiant) pour apprécier H Story, puisque le film d'Alain Resnais n'est qu'un pretexte. Seuls des extraits du texte nous sont présentés, souvent les mêmes d'ailleurs, ainsi que quelques vagues images.
H Story est une oeuvre totalement nouvelle, réflexion désabusée sur l'impossible communication : entre la France et le Japon, entre un film ancien et un projet moderne, une actrice et un réalisateur, le réalisateur avec lui-même, l'actrice avec son texte, et tout ce monde avec la parole. Car finalement, tous les protagonistes du film, jusqu'à la chef opératrice qui ne parle qu'une fois pour engueuler vainement l'actrice, se retrouvent sur ce constat : les paroles ne disent rien, seuls les corps s'expriment vraiment. Donc, finalement, ils se sont compris, ou du moins le spectateur a ce sentiment. La film parle beaucoup au début, quasiment pas à la fin, qui est une belle errance de l'actrice et l'acteur. Ils n'arrivent tellement pas à se parler qu'à un moment ils parlent chacun au même chien...
Cette prédominence du corps sur la parole est parfaitement incarné par Béatrice Dalle, vibrante boule de nerfs, qui "bouffe" littéralement la caméra par sa présence. H Story était sans conteste le film le plus audacieux de Cannes 2001, et un objet de cinéma rare, ne serait-ce que parce qu'il propose une palette de style d'images allant du docu en caméra portée jusqu'à l'image hyper léchée.
Le problème du film, c'est justement de se laisser quelquefois porter uniquement par son style. Au début, chaque scène du "tournage" commence sans son, puis le son "monte", puis est supprimé sur la fin de la scène. Bel effet, mais répêté, il devient énervant. Le film est beaucoup plus original quand il capte par exemple le moment ou Béatrice Dalle n'en peut plus de répeter un texte et s'énerve contre elle même et le réalisateur. Suwa Nobuhiro a brouillé les frontières entre le docu et la fiction, on ne sait pas s'il s'est réellement perdu dans son film ou s'il a mis en scène la perte. Belle interrogation, même si elle ne restera peut être que dans le cercle des cinéphiles.