Ghost Dog | 3 | Situations cocasses et jolie petite ville. Tchin tchin ! |
Xavier Chanoine | 3.5 | Tchin Tchin! |
Bande annonce
On entend déjà au fond de la classe, «quoi, encore un film d’Hong Sang-Soo?». Rien de plus normal pour l’un des cinéastes coréens les plus appréciés de la critique française et dont la filmographie aura été montrée dans son intégralité en moins de quelques années. Pas étonnant donc, que de voir apparaître une nouvelle fois à Cannes son dixième film, petit gourmandise alcoolisée qui ne devrait pas tarder à bénéficier d’une sortie en salles et qui aura ravis, on le suppose, une grande partie des spectateurs parisiens lors de l’habituelle reprise de la section Un Certain Regard. Meilleur film de la section selon Claire Denis et son jury, on pourrait comprendre cette volonté de récompenser une œuvre toujours fraîche malgré les gueules de bois, souriante, drôle et cocasse, une juste récompense pour un Hong Sang-Soo moins érotique et franc du collier qu’auparavant, mais dont les sentiments tour à tour distanciés et explosifs des personnages finissent par éclabousser l’écran pour notre plus grand bonheur. Le pitch de départ a un petit quelque chose de simple et très touchant, à savoir les retrouvailles de deux grands amis, l’un est un supposé-réalisateur tandis que l’autre écrit des poèmes à ses heures perdues, qui ont tous deux voyagés dans la même ville, Tongyeong, dans le sud du pays. A travers les trinques, les deux amis vont se rendre compte qu’ils ont déposé leurs bagages au même moment, sans jamais se croiser. Ils décident donc d’évoquer leurs plus joyeux souvenirs avant de repartir chacun de leur côté.
Le dispositif très linéaire du film apparaît comme nouveau dans le cinéma de Hong Sang-Soo, puisque les courtes discussions des deux amis, introduisant leurs souvenirs, sont évoquées sous la forme de clichés et noir et blanc, accompagnés de leur voix en off. Au départ très étrange, ce procédé s’avère finalement plus chaleureux que prévu, surprenant de la part d’un cinéaste qui aura toujours affirmé un style et une ligne de conduite précis. Mais loin de s’égarer vers des sentiers inconnus, Hong Sang-Soo continue d’afficher un certain intérêt pour l’exploration des aventures de personnages moyens s’abandonnant à leurs sentiments de manière un peu lâche, sans trop réfléchir aux conséquences –mais qui peut leur en vouloir ?- et dont les souvenirs servent ici de pure dynamique au métrage. Il n’est en effet pas facile de savoir sur qui ni sur quoi le spectateur va tomber à chaque nouvelle séquence. On avait senti un cinéaste quelque peu moqueur vis-à-vis de ses personnages dans son précédent long, Les Femmes de mes amis, et c’est avec bonheur qu’il récidive ici quitte à bousculer les apparences, notamment lors d’une fabuleuse séquence, sans doute l’une des plus hilarantes jamais vu chez Hong Sang-Soo, où Mun-Kyung (génial Kim Sang-Gyeong) se fait humilier à coups de cintres par sa mère, devant les invités. La séquence du rêve où Mun-Kyung se retrouve à philosopher avec un grand guerrier vaut aussi le détour pour sa succulente dérision. Rarement aura-t-on autant ris devant un film du cinéaste, qui semble avoir laissé de côté les grosses métaphores et la noirceur de ses premières œuvres pour s’attarder sur quelque chose de finalement plus "anecdotique". Car si l’on y regarde de plus près, Hahaha est un enchaînement ininterrompu d’anecdotes qui auront marqué d’une certaine manière les personnages.
Entre la volonté de Mun-Kyung de séduire par tous les moyens Seong-Ok (Moon So-Ri), Jung-Shik (Yu Jun-Sang) de prouver qu’il tient à Yeon-Joo (Ye Ji-Won), il est très facile de s’attacher et de s’identifier aux personnages qui auront fait la différence par une attitude ou une parole inattendues. Les moments intenses ou « intensifiés » par tel ou tel excès ne manquent pas, entre ces messieurs priés de se taire lors d’une récitation de poèmes ou encore la colère de Seong-Ok, obligée d’arrêter subitement la présentation d’un guerrier historique parce que le groupe en visite ne semble pas mesurer l’importance de ce dernier, force est de constater que le cinéaste n’a pas perdu sa science de l’imprévu. On pardonnera rapidement la faute de goût de la séquence du SDF en fin de métrage, assez nulle dans le genre. Tout comme la prestation médiocre d’une Kim Min-Sun pas franchement à son aise. Mais rien qui n’empêche vraiment de savourer cette surprenante nouvelle page très drôle du cinéma d’Hong Sang-Soo. Certes Hahaha ne manquera pas de susciter l’éternel débat concernant la manière dont est utilisée la caméra, mais ce problème a déjà été discuté un peu partout dans nos colonnes, inutile d’en parler davantage. Allé, trinquons à la santé de ce joyeux drille, parfois traversé de pensées sombres, mais qui n’altèrent jamais la bonne humeur de l’ensemble.