Guerre pas si féroce.
Le cinéma de Fukasaku, j'aime souvent le comparer à celui de Suzuki Seijun. Le rapprochement est notable, notamment dans la composition de certains personnages et dans l'univers que dépeignent les deux cinéastes, l'un dans un registre pop art et l'autre dans un cadre plus documentaire et politique (condition des travailleurs, idéal d'un nouveau way of life, le renouveau d'une société nippone, l'occupation étrangère...). Suzuki caricaturait ses gros bras, les rendant plus attachants et amusants que ceux de Fukasaku, mais cette donne s'avère quelque peu erronée au vu de Guerre des gangs à Okinawa, polar du début des seventies réalisé quelques années avant la banqueroute des studios nippons. Il y a chez ce Fukasaku une envie de s'approprier l'univers du yakuza eiga et d'y apporter une dimension tragi-comique à des années lumières de ses futures oeuvres comme la série des Yakuza papers ou le nihiliste Okita. Ici, les yakuzas sont traités comme des personnages rêvant d'une nouvelle vie, d'une nouvelle quête à accomplir, celle de redorer le blason du code d'honneur en le pratiquant à Okinawa, île alors sous l'occupation US.
Si dans un premier temps Guerre des gangs à Okinawa n'a pas la saveur d'un Combat sans code d'honneur aussi bien dans son aspect visuel (teinte jaune absente, introduction différente, peu d'informations à l'écran) que sonore, habitude que prendra le cinéaste dans les années à venir, il s'avère être suffisamment bien narré pour que le spectateur ne se sente pas agressé par le trop plein d'informations écrites ou de plans fixes expliquant l'origine des mafieux (thème récurrent dans le futur). Le film est aussi parfaitement bien divisé en trois parties : l'histoire, le fief des mafieux et la vengeance, séparées par des images fixes sous la voix off du leader récemment sorti de taule. La classe, le bagout et la dignité, tels sont les éléments mis en avant par Fukasaku, de même que l'importance de la femme (la misogynie faisant pourtant partie intégrante du cinéma de Fukasaku) dont elle semble être le seul élément déclencheur d'apaisement auprès du boss. Des séquences d'évasion sur un lit, sous une lumière tamisée, contrastent drôlement avec le chaos de la ville et les querelles entre clans (qui aura l'île? Eux ou eux? Point.). Pas aussi enragé et délirant qu'un Deadly Fight, peut être moins sombre qu'un Cimetière de la morale, l'oeuvre de Fukasaku n'en demeure pas moins déjà aboutie et annonciatrice d'un cinéma percutant.
Okinawa Blues
Guerre des gangs à Okinawa parle d'un groupe de yakuzas ayant quitté Tokyo pour Okinawa parce que l'on peut encore y faire le boulot mafieux à l'ancienne: à l'époque du film, Okinawa est encore occupée par les américains. Avec le recul, le film apparaît comme un Fukasaku plus divertissant que ses meilleurs mais pas négligeable pour autant. A coup d'inserts, Fukasaku va d'abord poser son sujet afin de pouvoir passer rapidement à ce qui l'intérèsse, la tentative d'un gang originaire de Yokohama de progresser selon des codes d'honneur qui n'ont plus cours. Si l'occupation américaine est bien présente dans le film au travers de plans au réalisme documentaire saisissant l'agitation de Yokohama la nuit ainsi que l'explosion funky de clubs où voyous et GI's vont pour flamber et "consommer" des femmes, elle ne semble là que comme décor et non comme élément moteur de chaos comme dans d'autres Fukasaku.
La folie formelle est présente, les cadrages penchés du cinéaste et ses caméras à l'épaule fonctionnent encore et dégagent une impression de violence sèche, ses téléobjectifs apportent un certain décalage mais ce système formel a moins de force ici que dans d'autres Fukasaku plus "chaotiques". Parmi les belles idées du film, on a celle de dérire la guerre des gangs au travers d'une carte d'Okinawa. Pendant sa première heure, le film vaut par son humour noir, ses personnages au jeu outrancier (Wakayama Tomisaburo formidable en voyou buté, dur, rebut annonciateur du personnage du Cimmetière de la Morale), un peu comme si Fukasaku faisait subir le même travail de sape et d'exagération que Leone avait administré au western. Reste néanmoins que la dernière demi-heure est la plus réussie. Là, les gangsters s'ennuient, sont dans une position attentiste et du coup le film devient un court instant annonciateur de ce qui sera développé par le cinéma de Kitano. Cette partie est superbe parce que portée par le retour de Yokohama et des blessures du passé au travers du débarquement de nouveaux gangs et de la relation entre le Parrain et une femme lui rappelant son ancienne compagne.
Le film se voit progressivement investi d'une logique tragique, celle qui veut que tous ceux qui croient aux codes d'honneurs soient voués à disparaître, matérialisée dans le baroud d'honneur sanglant final. Le genre de choses dont le fan John Woo se souviendra par la suite.
Le pur Yakusa Eiga !
"Guerre des Gangs à Okinawa" est l'exemple classique du Yakusa Eiga des années 70.
FUKASAKU Kinji s'est entouré de bons acteurs pour faire ce film, la BO est assez sympa et bien décalée par moment. Malgré ça, j'ai globalement aimé ce film mais sans plus... je ne saurais dire pourquoi exactement.
Tradition oblige
Yakuza eiga efficace à travers duquel Fukasaku dénonce la perte des traditions.
Une nouvelle fois, l'emprisonnement d'un yakuza sert de métaphore à une société évoluant à toute vitesse : à sa sortie après 10 ans passés derrière les barreaux, un ancien yakuza se trouve en parfait décalage avec le présent. Les anciens codes d'honneur des clans ont changé : règne désormais le fric et la réussite (imagée par des chefs de clan business-man).
L'ancien clan recréé, leur départ pour l'île d'Okinawa, où règnent encore "les anciens codes" signifie bien évidemment la recherche du passé. Les habitants de l'île s'autoproclament d'ailleurs les "provinciaux", qui voient d'un mauvais oeil l'arrivée des "métropolitains". Opposition entre une campagne toujours imbibée de traditions et la ville "capitalisée".
Dénonciation également de l'occupation : l'île est occupée par les militaires suite à la fin de la guerre; or les mafieux du coin veulent empêcher "l'invasion" des yakuzas de la ville, alors que leur île est déjà envahie par des étrangers.
Les nombreux panneaux publicitaires en arrière-plan pour Coca et Pepsi ne sont d'ailleurs pas anodins : apparaissant la plupart du temps avant des scènes de bataille, ils sont autant de métaphores de la "guerre" entre les américains (Coca) et les asiatiques (Pepsi).
Tentative désespérée du clan d'antan de reprendre les affaires en main, Fukasaku denonce donc la perte des traditions au profit d'une invasion (capitaliste) rampante sans foi ni lois.
Se référant à son cinéma chéri, il multiplie les plans quasi documentaristes des quartiers envahis par l'occupant américain (tournés visiblement à la volée, comme le témoignent la réaction des passants regardant la caméra) tel Kurosawa dans "Un Chien enragé"; filme ses personnages absurdes comme Leone dans ses westerns, le tout sur une intrigue proche des polars français de l'après-guerre.
Son traitement typique de l'image est ici porté à son comble : flash-back en photo-montage, inserts des noms des protagonistes en cours de récit, arrêt sur images fréquents lors des combats.
Il est surtout étonnant de voir à quel point il a su inspirer le cinéma actuel : Tarantino lui a volé bien des plans pour son "Reservoir Dogs" (la démarche du groupe); Kitano a puisé dans son répertoire autant pour "Sonatine" (l'attente des yakuzas), que pour son "Brother" (la constitution d'un clan pour se frotter aux plus grands).
Film très attachant, qui souffre néanmoins autant de quelques longueurs, que d'ellipses (histoire pas toujours suffisamment approfondie).
Raah Gnâgnâgnâ.
Pour parler de Fukasaku, il faut parler de tout le cinéma. Il faut parler de chaque image, de chaque image en tant qu'elle a été filmée, en tant qu'il y a eu un oeil derrière la caméra, un premier voyeur, le premier d'une longue chaîne désirante et obsédée. Il faut que sa continue, dit Fukasaku. Il faut qu'il y ait d'autres images après la première. Il faut que chaque image chante la mort des autres. Il faut que chaque image puisse être la dernière. D'où l'urgence, la précipitation : les images, c'est vingt-quatre fois par seconde, c'est forcément vingt-quatre idées par seconde, ce n'est pas pour rien que les images sont si intelligentes - elles vont tout simplement trop vite. Oui, c'est ça, Fukasaku : le génie du bordel, le génie du cinéma bordélique, des images lancées comme des couteaux de navajos poivrots. Tout : cadres déglingués, grand-angle pourri, teintes exsangues - oui, tout est à côté et donc en plein dans le mille. Tout s'arrache les dents serrées. Tout devient une métaphore du cinéma. "Guerre des gangs à Okinawa" : tout le monde descend. Le plateau de tournage est jonché de cadavres.
Une plongée sans concessions dans le monde des yakuzas
Sans concessions et filmé caméra aux poings, à fleur de peau, ou plutôt à fleur de cuir de dur à cuire. Pas des tendres les héros de Fukasaku, d'ailleurs ils ne sont en rien des héros. De vrais truands avec des grands flingues qui shootent à tout va et pour l'honneur. Le code du Bushido oblige, l'éxécution est imminente. Quand Suzuki leur donne de l'allure et des postures chevaleresques, le punk Kinji en fait des hommes qui tuent comme ils pensent, pour l'honneur.
Du très grand yakuza eiga par LE maître en la matière.
bof
j'ai pas trop accroché ...
mais quelques scene interessante quand meme.
Sur un plot de base classique, Fukasaku et sa caméra virtuose réalisent un polar atypique, carré et jusqu'au-boutiste, malmené par une critique sociale impliquée et porté en état de grâce par des personnages en phase terminale.
"Guerre de gangs à Okinawa" est un film jouant à priori sur l'absurde, un peu à la manière du "Brother" de Kitano: six has-been de la métropole vont faire les malins en plein terrain miné. On se dit d'entrée: "leur courage les fera faire des miracles mais ils se feront vite rattraper par la dure réalité made in 70's et flinguer en règle dans un bain de sang grotesque". Ben en fait, oui, mais non.
Parce que voilà: Fukasaku est un cinéaste plus "classique" que le kitano en cela qu'il aime bien montrer le sang, qu'il aime bien exacerber les émotions, qu'il aime bien les figures de style populaires. Donc, dans "Guerre de gangs...", il ne s'agit pas là d'un suicide désespéré; il s'agit d'une vengeance. Un peu tête-brûlée, mais réfléchie tout de même.
Tsuruta Koji, autrement plus classe que la moyenne honorable (mentor de Anthony Wong, quand il ne sait pas de Cat III?), et ses hommes, sont l'incarnation du "bon vieux temps" où l'honneur primait sur le reste et bla bla bla, tout comme dans chaque film où le héros sort de taule. Les temps ont changé, mais pas tout à fait, puisque, tout en réalisme, la poudre du canon va parler.
Tout en subtilité, aussi: les méchants, malgré leurs aspects caricaturaux, ne sont pas ce que l'on pense, les burnes de 100 kg trouvent un bon terrain de jeu chez les Yakuzas sans pour autant s'opposer au cerveau, et la "guerre des gangs" promise n'aura, bien évidemment, pas lieu.
Au lieu de ça, on a la mélancolie... la mélancolie d'un cinéaste élevé sous les bombardements de Tokyo, sa nostalgie d'une époque révolue, sa haine palpable de l'occupant ricain, son attirance pour la faune Okinawaïenne, aux antipodes de la société nippone... au lieu de ça, on a un film qui respire.
Fukasaku filme génialement les scènes d'actions (qui ont très certainement inspiré Woo dans leur maîtrise de l'espace), enchaine arrêts sur images (qui inspireront Scorsese dès ses films des 80's), et sait toujours aussi bien poser son atmosphère pesante, humaine, charnelle.
A ce propos, les plus belles scènes sont celles entre Tsuruta et la prostituée, comme le veut la grande tradition Fukasaku-kara; l'intimité, superbement mise en valeur par l'ambiance sonore surprenante pour un film de cette époque et une photo chaude, est portée à des sommets par la caméra fouineuse du réa, filmant ses acteurs, et leurs textes, simplement beaux. Ca change des cinéastes français, car même si Melville et Verneuil savaient y faire, il ne savaient pas y faire COMME CA. Ni même Clément. Surtout pas les ricains. Personne.
Ce qui frappe dans les scripts des films de Fukasaku, c'est l'alchimie entre la poésie urbaine et désenchantée et la violence exacerbée; moins bruyante que Woo et ses compères de HK (WKW ne s'inspirerait-il pas des films de Fukasaku et Suzuki, à ce propos?). Toujours plus belle. Et ça pardonne totalement la semi-réussite technique du final, qui, même s'il était prévisible, ne perd pas de sa force symbolique.
Un grand film.