Dans le tout venant de la production nippone actuelle, il existe peu de films capables d’exciter à ce point les sens du spectateur, quitte à le pousser dans ses derniers retranchements face à l’incroyable capharnaüm visuel créé de toute pièce par Kazuaki Kiriya pour son second film de fiction, Goemon. Utilisant le même procédé que Casshern, consistant à faire jouer les acteurs sur fond neutre, Goemon pousse la surenchère numérique à des niveaux fleuretant avec le mauvais goût, tout en concevant un univers bien à lui où les influences de la culture populaire nippone se retrouvent au sein d’un même cadre durant l’époque féodale au XVIème siècle. Cette fois-ci, le cinéaste accorde deux heures au personnage de Ishikawa Goemon, héros des temps anciens réputés pour ses talents de voleur indiscutables, devenu bien après sa mort un héros alimentant l'imaginaire collectif, maintes fois adapté pour le théâtre kabuki ou encore l'animation, notamment dans la célèbre série Lupin III. Ce n’est pas la première fois que l’alchimie entre film d’époque et stylisation appuyée est portée au cinéma, surtout japonais, on pense aux récents exemples Shinobide Ten Shimoyama ou encore Dororo de Shiota Akihiko. Si ce dernier livrait un film aux antipodes de son cinéma plus difficile d’accès au grand public, Kazuaki Kiriya poursuit sur la lancée d’un Casshern avec une œuvre répondant à la charte graphique mise au point par ses soins, répondant également à l’esthétique entrevue dans certains de ses clips musicaux, réalisés entre autres à l’époque pour son ex-femme et chanteuse populaire au Japon Hikaru Utada. Ce n’est alors pas une surprise de retrouver dans cette œuvre définitivement familiale et très classique dans sa structure, ce qui démarquait Casshern de tout autre blockbuster nippon : outre les explosions de rétine permanentes, le procédé du tout-numérique réussissait à l’époque à camoufler l’absence de budget digne d’un blockbuster. Pourtant, Casshern fut vendu tel quel. Goemon perpétue cette stratégie économique même si certains environnements paraissent atrocement cheap à côté d’autres dignes d’une cinématique de Square Enix.
Que vient faire l’univers des jeux vidéo ici ? Pas de crainte, ils ont une place toute respectable tant l’œuvre semble affiliée à la culture vidéoludique notamment dans ses séquences d’exploration –la boîte de Pandore, entre autres- ou superbement graphiques au cours des scènes d’action qui dégagent. Déployant tout un arsenal de techniques informatiques pour donner définitivement corps à son bébé, le cinéaste amène ainsi son film à baigner constamment dans une soupe pour dix, sorte de mixture d’influences –à ce niveau, culturelles- où se retrouvent les gimmicks les plus éculés d’un Final Fantasy, Prince of Persia ou encore Devil May Cry. Négation du cinéma ou relecture postmoderne du conte médiéval ? La question peut être posée à l’heure où le cinéma influe sur les jeux vidéo et vice versa, deux marchés fonctionnant au final sur les mêmes bases. Kazuaki se réapproprie les codes du film d’aventure pour en faire un projet cohérent et personnel, l’entreprise du bonhomme étant reconnaissable à des kilomètres. Sa faculté à scinder jeux vidéo, littérature, manga et vidéo de leurs matériaux pour en faire un tout cinéma est ici admirable, jusqu’au-boutiste dans sa démarche de décomplexer le genre quitte à paraître superficiel aux yeux de ses détracteurs plutôt nombreux. Il faut néanmoins comprendre cette démarche et l’accepter avant de tenter l’aventure sous peine de tomber dans une nébuleuse cauchemardesque et interminable, en dépit du rythme ici bien négocié et d’une longueur ne frôlant pas l’indigence comme ce fut le cas avec l’intéressant Casshern, laborieux mais à l’univers là-aussi bien établis.
Mais autre part, la narration s’empêtre de lourdeurs évitables, comme par exemple une quantité délirante de personnages cabotins (en particulier Okuda Eiji dans la peau de Toyotomi Hideyoshi, traitre avide de pouvoir), cliché d’un cinéma –jeu- d’aventure où le scénario très écrit fourmillerait de rebondissements à la pelle sans se soucier le moins du monde de quelconque lourdeur. Ainsi, bien que très classe, le personnage de Hattori Hanzo interprété par Susumu Terajima n’apporte strictement rien –ou si peu- sur le plan de la narration, juste présent pour un climax final graphique limite Shakespearien. Idem pour le side-kick du héros, l’air ahuris et gaffeur à temps plein. Le fait qu’il y ait également une petite quantité d’histoires au sein d’une quête déjà bien importante –les mésaventures d’un prince des voleurs face au tyran qui opprime le peuple- pour l’étoffer, n’est justifié qu’à de rares moments. Les retrouvailles entre Goemon et la belle Chacha apportent la touche de mélodrame adolescent inhérent au cinéma japonais, bien dispensable mais motrice d’un certain enthousiasme pour le public nippon qui y trouve sûrement son compte devant un tel déferlement de fan-service : pas un seul thon au niveau du casting, des poseurs à ne plus savoir qu’en faire, des plans entiers et un style graphique non sans rappeler les jeux de rôle japonais, une bande-son pompière plein de panache et de guimauve Buena Vista lors des séquences au clair de lune, des feux d’artifice en guise d'introduction, comme si le cinéaste voulait déjà afficher ses ambitions. Sans être une cinématique prestigieuse de plus de deux heures, Goemon remplit aisément son rôle d’immense melting-pot d’influences culturelles populaires tout en étant un divertissement parfaitement maîtrisé. Aucun intérêt pour Kazuaki Kiriya de révolutionner le film d’aventure populaire ni même de le dépoussiérer avec des mécaniques inédites, la réalisation s’occupe de tout. Son style, ses ambitions formelles discount et son écœurement rétinal sont sa principale marque de fabrique, qu’importe s’ils ne font jamais sens. Tout n’est que spectacle, frime et éclaboussures. D’une violence inouïe, l’agressivité formelle et sonore dont fait preuve Goemon peut bien excuser la démesure clinquante et parfois très cheap caractéristique de son auteur. Laissez vous tenter.
Le numérique a bien des avantages... Il peut permettre les plus grandes folies visuelles, les décors les plus somptueux, les bonds de 100 mètres de haut sans que l'on soit limité par la taille d'un cable ou les risques d'accidents de cascadeurs... Mais tout ceci ne fait pas un film. Goemon reprend, en les modernisant sacrément, les codes du chambara, en les plaçant dans un écrin tout beau tout neuf. Mais... si le divertissement est de qualité, l'ensemble est creux, le scénario souvent convenu, les scènes d'action mal pensées... Le numérique ne doit pas dispenser d'avoir un vrai travail (notamment un travail d'acteurs) pour assurer une certaine vraisemblance même dans l'invraisemblable. Ne boudons pas notre plaisir: certaines scènes de ninja sont franchement décoiffantes... Mais pourquoi certains réalisateurs modernes, sous prétexte de "réinventer", proposent des films visuellement époustouflants, mais totalement vains. Sans âme, sans émotion. Encore un peu de travail, et on y sera! A la synthèse des Anciens et des Modernes...
Bin finalement je m'attendais à ce que j'allais voir. Une débauche d'effet pour un minimum de résultat. Revoir plutôt le Château de Cagliostro... c'est grosso modo l'impression que m'a fait le film! A noter que les effets spéciaux sont dans l'ensemble très réussis. Mais cela ne fait pas tout.
Certes, Casshern n’avait pas que des qualités. Et grosso modo Goemon récupère la plupart de ses défauts : histoire nunuche, utilisation pompière de la musique (pas systématiquement dans Casshern, mais c’est pire dans Goemon), chorégraphie brouillonne des scènes d’action (peut-être toutefois le seul point d’amélioration par rapport au premier film),... et s’il échappe aux pseudo hermétisme ronflant de Casshern c’est sans doute car personne n’a jamais essayé de lui faire acquérir la moindre profondeur.
C’est bien là le problème : Casshern n’avait sans doute pas toujours le moyen des siennes, mais Goemon n’a aucune ambition – aucune au delà de fournir un N-ème blockbuster spectaculaire pour toute la famille. Ce formatage blockbuster est d’ailleurs évident quand on observe les personnages : le grand méchant responsable de tous les malheurs du monde, le sidekick comique, l’orphelin que le héros prend sous son aile car ça lui rappelle son passé, le frère ennemi qui sera finalement fidèle, la princesse inaccessible qui est une amie d’enfance,... n’en jetez plus !
Mais Casshern n’avait pas que des défauts. Et Goemon ne reprend à peu de chose près aucune de ses qualités. L’histoire de Casshern n’était pas transcendante, mais au moins était-elle raconté de manière intéressante et prenante, la mise en place des enjeux et des personnages était remarquable, la confrontation des intrigues parallèles était faite avec aplomb ; plus de cela dans Goemon, dont la structure narrative est plus ou moins calquée sur celle du premier Disney venu : plus aucune surprise ni sophistication. La mise en scène aussi est sans éclat ni audace (à l’exception de deux ou trois mouvements de caméra freestyle, par ailleurs peu concluants) et surtout le montage est atrocement linéaire ; tout le contraire de celui de Casshern, constamment délinéarisé par des micro flashs-forward/back et des narrations alternées. Ultime déception sur ce pourquoi on approuvait le projet de Kiriya, la direction artistique : utilisant la même technique elle est ici totalement fade et uniforme, n’est plus porteuse de sens et de caractérisations des scènes.
On se demande alors ce qu’il reste. Pas grand chose malheureusement (des ninjas, c’est déjà ça).
Il va falloir faire abstraction de bien des flagrants défauts pour pouvoir y trouver du plaisir.