Pas besoin de lire cent-cinquante brochures pour savoir ce dont est fait un voyage psychédélique. Genius Party Beyond est le meilleur exemple possible d’un voyage que l’on n’oublie pas malgré les petites intempéries qui gâchent de temps en temps la fête. Rien de plus normal en traversée. Le spectateur curieux pourra toujours y jeter un œil, mais ce énième omnibus du décidément très secoué Studio 4°C ne sera pas prêt de le leur rendre, il ira sans doute jusqu’à capturer l’âme de celles et ceux qui auront tenté l’expérience à leurs risques et périls. C’est vrai que l’on exagère à peine, mais c'est le cas lorsque l'on tente de désosser les cinq segments qui composent cet « au-delà », qui prouve s’il le fallait encore la capacité du studio à aller « au-delà » de ce qui a déjà été fait jusqu’à maintenant, proposant au spectateur un voyage de « l’autre côté » et une nouvelle approche de l’animation faussement poseuse et vraiment conceptuelle. On peut parler de style, et soulagement, l’omnibus Beyond n’est pas le bébé le plus poseur du studio, leurs précédents essais s’en sont déjà chargés à sa place. Moondrive, réalisé par Nakazawa Kazuto, démontre tout le savoir du bonhomme en faisant de sa nonchalance et son agressivité pleine de sécheresse un modèle de cool-attitude poseuse et frimeuse à souhait, noyée dans un océan de dérision provoquant d’immenses fous-rires. La séquence du billard, modèle de tension, restera dans les anales à ce niveau. Du lot, sûrement le segment le plus rebelle de tous à la fois grâce à une galerie de personnages allumés (un hyperactif violent, une punk servant d’objet sexuel, un obèse illuminé…), sa plastique au trait volontairement proche de la bande-dessinée et au grain vieillissant la pellicule, permettant une vraie liberté dans le chara-design (pas réellement audacieux, mais approprié au contexte) des personnages engouffrés dans une chasse au trésor qui confirmera à l’issu d’un épilogue tordant leur statut de looser de référence.
Et tant que l’on reste dans la lose-attitude, parlons rapidement du vilain petit canard du lot, véritable intempérie venant fiche le cafard d’entrée : on parle encore de flotte ? Non, de musique, car la graine tombée sur « terre » ne poussera pas grâce à Mère nature mais plutôt grâce à la musique jouée par trois musiciens magiques. L’épisode est tellement fin que l’on sait d’amblé qu’il s’agit d’un monde de puces grosses comme un quart de grain de sable, pas besoin d’attendre l’épilogue navrant de déjà-vu pour deviner. Qu’est-ce que nous a concocté Maeda Mahiro avec Gala ? Un voyage naturel oscillant entre chara-design général de mauvaise série tv européenne qu’un KD2A ne voudrait même pas dans sa grille de programmes, et influences Miyazakiennes avec sa collection de petits êtres de la Terre pour faire joli et ses nappes musicales pompières qu’un Hisaishi Joe trouverait même un poil too much. Mais ce qui déplait ici, c’est son florilège de bons sentiments, de joie de vivre dans la paix et la musique. Et lorsque l’on est pas loin de toucher aux super pouvoirs façon Sailor Moon, les clins d’œil à l’exotisme nippon et son vieillard sage rappellent que personne ne prend de risques dans cette soupe indigeste et très colorée bien que dotée d'une fluidité d'animation assez remarquable.
Ce a quoi Wanwa the Doggy n’échappe pas toujours, la couleur et les gargouillis, mais il fait preuve de suffisamment d’originalité pour divertir et toucher, surtout lorsqu’il s’attaque au registre déjà bien chargé du conte fantastique imaginaire avec un gros ogre et un petit bonhomme curieux au programme, en plein dans un rêve. Assez sublime dans le registre de l’imaginaire et tout ce qui en découle, le segment de Ohira Shinya est le premier gros trip sous extas de l’omnibus estampillé Studio 4°C. Fiévreux juste avant, le style foutraque et caricatural de Moondrive laisse place à une pastelle plus poétique encore que les arrières plans des aventures solo de Yoshi sur Nintendo. Il sait aussi jouer de ses propres expérimentations en déstructurant son univers de toute part et en éclaboussant au visage du spectateur tout ce qui passerait par l’esprit d’un petit gosse haut comme trois pommes. Reste que si le court est très souvent bourré d’énergie créatrice, il sait aussi lever le pied pour de courts instants de grâce mignons (la chasse au papillon doré) comme déchirants (le chien retrouvé inanimé), d’où la force d’un décalage permanent entre expérimentation totale et vraie poésie enfantine, rappelant les cauchemars et les rêves un peu fous que l’on faisait lorsque l’on était gamins. Et si le Studio 4°C tentait de mettre en image ce qui trotte dans l’esprit de chacun ? Et s’il poussait l’expérimentation sensorielle, visuelle et sonore à son paroxysme lors d’un dernier acte aussi incompréhensible que fascinant ? Dimension Bomb c’est donc, comme son nom l’indique, une explosion d’images et de visions aux contrastes terriblement aveuglants, aux formes et aux lumières surnaturelles, où une poignée d’êtres humains se perdent dans un labyrinthe comme il n’en existe nulle part ailleurs. Grosse épreuve pour les neurones et la patience donc, segment interminable car déstructuré de toute part et métaphysique jusqu’à l’explosion. Mais immense plaisir pour les yeux avec une série de plans d’une beauté inouïe, on n’avait pas vu pareille extase formelle de la part du studio depuis longtemps. Serait-on tenté de dire qu’une nouvelle étape vient d’être franchie dans le domaine de l’animation, après un Amer Béton vertigineux ?
Sans doute aussi que le cyber-polar Toujin Kit de Tanaka Tatsuyuki tourne un peu en rond malgré des audaces visuelles brillantes dans l’ensemble : un chara-design rétro-futuriste bien négocié (les traqueurs affublés d’une tête de lampadaire rappellent les pantins palanquins du Château ambulant )et un plan de travail déjà conçu pour les 35 secondes du segment Kin Jin Kitto en provenance directe de Digital Juice (comme quoi 35 secondes d’animé est une belle blague) font le travail. Dans cet univers particulièrement complexe où des peluches renferment des entités extraterrestres, une jeune femme tente de les protéger pour des raisons bien personnelles. Sans doute l’épisode le plus sérieux d’un film omnibus plus maîtrisé que Deep Imagination dans son ensemble, prouvant une nouvelle fois la remarquable qualité des travaux du studio depuis des années. Et ce n’est pas ce grotesque Gala qui viendra fiche le boxon, ça non.