Don Chaplin
Surtout connu en France pour un Nowhere to hide plombé par sa part de poudre aux yeux et un Duelist à l'esthétisme clinquant, Lee Myung-Se avait fait souffler un vent de fraicheur sur le cinéma coréen de la fin des années 80 avec Gagman. Succès et statut culte furent au rendez-vous en Corée et le film le doit sans doute à son caractère à contre-courant de la production de l'époque. Alors que la vogue était au cinéma politique, Lee Myung-Se offre une comédie hommage au cinéma muet dont l'idée centrale est l'absence de frontière entre la vie rêvée et la vraie vie. Philosophie de comptoir? Non, vu qu'en divertissement assumé le film fait de cette idée un simple prétexte narratif pour déployer une déclaration d'amour au cinéma et surtout au désir de cinéma.
D'un contenu autobiographique revendiqué par Lee Myung-Se, le scénario offre un portrait aussi drôle que touchant de deux losers rêvant de travailler dans le monde du cinéma rejoints par hasard par une jeune femme dans leur quête. Un duo masculin en forme de Don Quichotte/Sancho Panza -inspiration revendiquée du cinéaste- pour lequel la cinéphilie aurait pris la place des romans chevaleresques. Sa moustache de Charlot, Lee Chong Se la porte comme un étendard de ses désirs (de cinéma). Faire un casse, c'est d'abord ici faire une répétition pour le scénario du film qu'on aimerait réaliser.
Sauf que bien évidemment la réalité va progressivement rattrapper des personnages qui ne sont finalement dans les yeux des autres que de simples braqueurs recherchés par la police. Et qui ne pourront plus éternellement se croire innocents... Mais même lorsque le réel repointe le bout de son nez à l'approche de la fin un part de rêve demeure comme si Lee Myung-Se ne se résolvait pas à voir l'amour du cinéma déposer les armes. Spoilers Le trio planqué dans un train alors que la police les encercle, cela pourrait être un final de film d'évasion, de western ou de film de casse. Lee Chong Se rêvait de se réfugier à Hollywood et il l'a peut être atteint son objectif. Et lorsque Mun Do Seok regrette son quotidien prosaïque il affronte pourtant ce dernier dans un face à face de western. Fin Spoilers
Terminons quand même par ce qui dans Gagman contraste avec les futures "limites" de Lee Myung-Se en tant que cinéaste. Le film est en effet porté par un scénario fait de drôlerie, de personnages touchants, ses rebondissements fonctionnant toujours et sans longueurs. Et également par son trio d'acteurs, Ahn Sung-Ki en tête. Lors de ce premier essai, Lee Myung-Se se contentait de déployer un vrai talent artisanal de mise en scène. Par la suite, il cherchera le coup d'éclat visuel permanent et tombera dans la pose. Ce qui n'enlève rien à la verve ici déployée...