Enorme succès critique et festivalier en son temps, The Funeral de Itami Juzo est de ces comédies satiriques très poussées faisant mouche à chaque instant parce que portant un regard drôle et débridé sur les us et coutumes du pays ciblé. Ici il est question de funérailles d’un vieil homme décédé brutalement à l’âge de 69 ans, laissant sa femme Kikue et sa fille Chizuko à présent orphelines. Les funérailles ont lieu chez lui, une occasion pour rassembler famille, collègues et amis pour trois jours farfelus. Dans The Funeral il est question de dépoussiérage d’un genre qui fait souvent merveille au cinéma à condition d’être entre de bonnes mains : la comédie satirique trouve ici un beau représentant à la fois dans le registre purement cinématographique, la mise en scène millimétrée faisant des merveilles, et dans la narration cohérente et structurée, sorte d’enchaînement de petits épisodes où chaque personnage à son mot à dire pour supergluer la banane sur le visage du spectateur parfois outré (dans le bon sens) par ce qui se passe à l’écran : entre un vieillard incapable de faire correctement son boulot, une connaissance de Wabisuke (mari de Chizuko) qui veut à tout prix se le faire avant de repartir chez elle, des gosses qui se chamaillent en pleine cérémonie religieuse orchestrée par un Chisu Ryu cantonné aux rôles de prêtres depuis Tora-San, des collègues qui préfèrent s’enfiler des verres de sake plutôt que de respecter le mort, une amie de l’équipe de cricket dont faisait parti le défunt atterrée devant le cercueil pour une séquence de larmes ultra surjouée (provoquant l’étonnement chez les convives) et tout un tas d’autres personnages pittoresques simplement là pour faire le show et décomplexer le film classique axé sur le deuil. Ici point de résignation, ou seulement à de courtes reprises (logique à vrai dire) censées apporter l’émotion qui s’avère coincée dans l’entonnoir de l’humour discret mais piquant tout au long du métrage. The Funeral est tellement fort dans ses propos qu’on pourrait y voir un croisement entre l’univers d’un Ozu (l’apparence des personnages, leur posture à l’écran, la symbolique des objets, le sens de la « famille », les pleurs) et d’un Morita Yoshimitsu (le côté extrême des situations, la critique sociale, la baffe dans la tronche) aboutissant donc logiquement à un résultat grandiose, essentiellement grâce à un casting de haute volée où chacun campe son rôle avec une assurance et un naturel qui font –justement- froid dans le dos.
Voir notamment le prêtre arriver dans une superbe Rolls Royce montre combien l'organisation des funérailles est une énorme source de revenue -douteuse?- pour les prêtres, capables de soutirer des centaines de milliers de yens simplement pour se recueillir sur un autel et y réciter des prières à longueur de journée.
Lorsque le film est rythmé par des séquences marrantes au possible (l'échange de sandwiches durant une cours de voitures, le pauvre vieillard quasi sourd oublié dans une pièce, les convives au bord des crampes à force de rester voûtés lors de la cérémonie religieuse interminable) ou la critique sociale féroce pour apprendre aux japonais comment se tenir lors d’une cérémonie mortuaire (la VHS explicative digne d’un documentaire d’éducation civique qu’on montrerait aux gosses, regardée ici par des adultes qui n’y connaissent rien en funérailles), il se voit entrecoupé de passages émouvants assez inhabituels dans le registre satirique. L’émotion gagne le spectateur notamment grâce à la performance de Miyamoto Nobuko et Sugai Kin (respectivement Chizuko et Kikue) toutes deux formidables en femmes touchées par le deuil. L’occasion alors d’organiser des retrouvailles entre personnes d’une même famille, symbolique chère au Japon lors d’un tel évènement ici réorchestré par un Itami Juzo sensei de la comédie loufoque, n’hésitant pas à exploser les valeurs et traditions nippones, sorte de tombée des masques dans un film qui aurait très bien pu être tourné par un Ozu ou Naruse au tout début des années 60. Il y a cette même rigueur formelle époustouflante, cette même distance face aux personnages (aussi bien physique qu’immatérielle), ces cadres au cordeau, ces profils de personnes que l’on a déjà cru voir dans les films d’Ozu en couleur, et un bordel ambiant mêlé à une musique classique qu’on aurait très bien pu voir chez Suzuki dans un autre genre plus folklorique, les longs travelings latéraux de gauche à droite et de droite à gauche lors de la scène de la beuverie sont particulièrement évidents quand il est question d’évoquer l’hésitation (on rentre, on rentre pas ?), et ces nombreux jeux de métaphore (Kikue sur une balançoire alors qu’au même moment son mari s’envoie en l’air avec une conseillère, métaphore du cœur qui balance, montée de tension) qui deviennent accessoirement de grandes séquences formelles, c’est tout l’art du cinéaste capable de proposer un vrai regard sur son matériau et d’en extraire l’étincelle simplement parce que cette idée là ou une autre s’avère géniale. Alors oui The Funeral est long, ce qu’on y évoque n’est pas non plus très gai, mais une telle maîtrise dans ce qui est raconté, suggéré et délibérément extrapolé mérite vraiment une grosse bouteille de sake tiède en la mémoire de Itami Juzo.