Un Suzuki mineur, mais tellement bien rôdé!
Guerre des voyous a un statut un peu particulier puisqu'il représente le tout premier film de Suzuki réalisé en couleur. On est bien loin des exubérances totales et du pur projet de mise en scène d'un Vagabond de Tokyo (auquel il partage la même musicalité même si les paroles sont différentes) mais l'utilisation de la couleur demeure déjà performante sans être entièrement gratuite. Suzuki pousse même l'expérimental en filmant au scope une séquence en plan large, tout en l'agrémentant de filtres de couleur différents à chaque coupe, ce qui a le don de provoquer un effet étrange car pas totalement maîtrisé (un orange fluo qui ne s'oublie pas) et qui peut paraître, paradoxalement, gratuit. Mais son utilisation est justifiée parce que l'on est à la fois dans un bar où les spots de lumières colorées jouent un rôle prépondérant quant à sa signature visuelle, et parce que Suzuki est totalement libre dans l'excès. Il faudra ceci dit attendre au moins Détective Bureau 2-3 pour voir un mélange de couleurs au sein d'une même pièce (un appartement quelconque dans les hauteurs de Tokyo) badigeonné de rouge, jaune et vert, non sans rappeler ce que fera plus tard Dario Argento avec son chef d'oeuvre du film d'épouvante, Suspiria.
Premier film en couleur, certes, mais Gang de voyous est intéressant pour ce qu'il est, avant de proposer un visuel travaillé. L'histoire de Sadao est en effet pleine de rebondissements, et sa vie va changer du jour au lendemain lorsqu'un avocat un peu particulier retrouve sa trace alors qu'il vient de perdre un membre de sa "famille". L'avocat en question annonce donc que Sadao est héritier d'une famille extrêmement riche et noble, et que sa grand-mère décide de le revoir. Hésitant, il sera finalement motivé par les membres de sa confrérie de "voyous", qui vont jusqu'à l'obliger de déserter les lieux pour se rendre chez sa "nouvelle" famille. Le parcours de Sadao est donc amusant et prouve que Suzuki a un petit faible pour la "jeunesse bagarreuse" et les rebelles en couche-culotte. Le cinéaste étant lui-même l'enfant terrible de la Nikkatsu, on peut y voir comme une sorte d'autobiographie courageusement décalée mais non sans arrières pensées, en toute logique. Mais Gang de voyous n'a rien du récit purement nihiliste et grotesque auquel le cinéaste nous a habitué au cours des années 60, on peut le ranger dans la case des pures divertissements grands publics, formatés pour la jeunesse lycéenne et les amateurs de polars rigolos, Gang de voyous faisant la part belle aux séquences très amusantes (Sadao et son amie qui s'amusent sur du rock des fiveties) et aux personnages pittoresques (l'avocat, la grand-mère de Sadao, les méchants vraiment cool). Et parce qu'un Suzuki de la "première génération" sans l'approche du mélodrame n'est pas un Suzuki, il faudra aussi compter sur les problèmes familiaux, avec une mère pas très désireuse de dévoiler son identité à son enfant qui la recherche pourtant avec hargne. Le petit Sadao ira jusqu'à arrêter un train pour retenir sa mère alors en partance, de peur d'affronter le regard de son fils. Si ce n'est pas une vraie preuve d'amour?