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Femmes en miroir
les avis de Cinemasie
2 critiques: 3.25/5
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5 critiques: 3.3/5
Tu n'as rien vu à Hiroshima...
Durant les années 60-70, Yoshida Yoshishige fut l'une des figures de proue de la Nouvelle Vague nipponne. Sans nier l'importance historique de ces films, il apparaît pourtant que ses classiques de l'époque n'ont pas passé l'épreuve du temps sans heurts. Par leur travail absolument unique sur le cadre et leurs audaces formelles, ces derniers sont emblématiques du bouillonnement créatif du cinéma mondial de leur temps. Mais ils sont malheureusement aussi émblématiques des travers de cette époque, celle de la mode des idéologies, celle où une partie de la jeunesse arborait ses références aux "penseurs engagés" comme d'autres arborent aujourd'hui un sac Vuitton : les références intellectuelles mal digérées et la tendance à asséner son propos avec des moyens légers comme une enclume. De ce point de vue, son célèbre Eros plus Massacre, chef d'oeuvre de sa première partie de carrière, exacerbe la grandeur et les travers des Yoshida de cette période: les allers-retours temporels d'une structure narrative en forme d'hommage réussi à Vivre de KUROSAWA, le dispositif formel conciliant une théâtralité toute japonaise et l'héritage des Nouvelles Vagues européennes racontaient bien mieux le Japon de la fin des années 60 que la pose auteurisante de certains passages scénaristiques du film. YOSHIDA retrouvera ensuite en partie cette verve-là avec un Coup d'Etat en forme de point final de cette première période artistique du cinéaste. A l'instar de celles de quelques autres de ses contemporains de la Nouvelle Vague (OSHIMA, TESHIGAHARA, SHINODA), la seconde partie de carrière de YOSHIDA sera marquée par un retour à un certain classicisme formel. S'inscrivant dans cette veine, Femmes en miroir évite le didactisme sans pour autant totalement convaincre.
Avec Femmes en Miroir, Yoshida offre un beau film sur le traumatisme d'Hiroshima aux qualités indéniables mais qui souffre de passer après ceux d'autres maîtres nippons (Shindo, Kurosawa) et même après un film choc de la jeune garde japonaise des années 90 (Suwa). La force et la limite du film de Yoshida est de contenir les qualités attendues chez un "film de grand maître japonais": lenteur contemplative, refus de toute dramatisation, retenue, sens de l'ellipse, mise en scène classique aux effets très calculés. Cette impression est encore renforcée par la présencen de Okada Mariko, actrice fétiche d'Ozu et compagne du cinéaste. La première partie du film comporte des parti pris de mise en scène intéréssants: le jeu sur le miroir brisé qui devient la part manquante à la fois dans cette famille nipponne typique et dans l'histoire du Japon, le superbe usage des ellipses lors de la scène d'ouverture en forme de chassé croisé entre une voiture et une vieille dame n'abandonnant jamais son parapluie même au soleil, les plans de rétroviseur recoupant le travail du film sur la notion de reflet déformé. Sauf que si le score éxpérimental mêlant pianos et saturation reflète dans cette partie pré-Hiroshima une étrangeté derrière une surface lisse qui ne demande qu'à refaire surface, il demeure pénible pour l'oreille du spectateur. Quant à la photographie, son côté trop terne nuit à l'émotion là où il voufrait être symbole d'effacement de toute esthétisation visible face à ma gravité du sujet. Surtout, cette partie s'étire trop en longueur d'un point de vue rythmique. Jusque là, on est en présence d'une oeuvre très maîtrisée, mais où l'exçès de contrôle du cinéaste finit par étouffer toute émotion. Certains diront à raison que la maîtrise est ce qui caractérise les chefs d'oeuvre mais le cinéma ne vaut rien si cette maîtrise n'est pas accompagnée de la dimension humaine.
Heureusement, malgré quelques longueurs encore présentes, le film finit par se trouver lorsqu'il décide enfin de se rapprocher de la source de l'horreur. A partir du départ à Hiroshima, le film va pouvoir offrir quelques grands moments de cinéma: le score expérimental va trouver dans la scène du souvenir du meurtre que la kidnappeuse croit avoir commis un écrin parfait pour déployer une impression d'effroi, d'étrangeté; les lieux font renaître une horreur d'autant plus forte qu'elle ne passe que par la parole; quelques ombres sur une porte font réapparaître le souvenir d'un enfant, la scène où un coucher de soleil nimbe la pièce d'une lumière couleur sang est également magnifique. La question de l'Amérique dans le film est également révélatrice des fondements de la culture nipponne: une culture qui prend l'étranger comme point de référence (ce qui explique qu'un Kitano n'eut de reconnaissance à domicile qu'après sa gloire vénitienne) tout en estimant que ce qui est typiquement japonais est incompréhensible pour l'étranger. Dans le film, l'Amérique est à la fois très proche (le soldat irradié, le compagnon de l'autre côté du Pacifique) mais cantonnée au hors champ et Natsuki préfèrera au final son identité de femme japonaise à sa part occidentale une fois que le lien manquant entre la famille japonaise traditionelle (Ai) et la jeunesse nipponne contemporaine incarné par Masako refera surface. Le traumatisme d'une famille et sa résolution se met alors à coïncider avec celui d'une nation, Yoshida usant alors de l'ellipse pour laisser sa liberté d'interprétation au spectateur pour ce qui est de la fin du film.
Sauf qu'à un maître qui finit par nuire à l'émotion en faisant une surenchère de retenue et de classicisme attendu, à un film certes digne mais pas aussi poignant qu'il pourrait l'être (et la retenue bien utilisée peut parfois être poignante), on peut préférer l'avant-dernier souffle d'un Kurosawa qui osa convoquer l'Amérique dans son champ cinématographique pour lui faire ressentir l'horreur atomique ou la turbulence d'un Suwa qui utilisait la corps félin de Béatrice Dalle pour revisiter l'héritage de Resnais. Dans les deux cas, les cinéastes osaient se confronter au regard de l'Autre. Regard qui manque cruellement ici.
Okada Mariko
Film présenté au festival de Cannes 2002.
Le traumatisme de la bombe atomique de Hiroshima y est abordé avec subtilité et pudeur.
Cependant le film est lent et si certaines scenes sont magnifiques, d'autres sont franchement moyennes.
A voir en tout cas pour Okada Mariko, épouse du réalisateur et actrice mythique de "Fin d'automne" d'Ozu et "Nuages flottants" de Naruse
Mal de mère, mal de terre
Certes, Yoshida passe après une flopée de titres et de maîtres du cinéma nippon reconnu à déjà avoir abordé le difficile sujet d'Hiroshima; mais il arrive à rendre un magnifique hommage personnel sous forme de véritable œuvre d'Art.
Les premières minutes du film donnent le ton du film à venir: rythme extrêmement lent aux cadrages incroyablement bien pensé (les lignes d'horizon et angles coupés très agressifs resteront une constante pendant tout le film; même les champs / contrechamps se feront pour la plupart de biais, créant des lignes diagonales "coupant" l'image comme les fissures du miroir). On y suit une femme à l'ombrelle blanche; elle tardera à découvrir son visage au public et on comprendra plus tard, que le parapluie tente de la protéger du soleil, cette lumière très vive rappelant le souvenir de l'explosion atomique (en route pour Hiroshima, elle protégera ses yeux du soleil, qui passe par la fenêtre du train et qui ne gène aucun des autres personnages dans le cadre, tous plus jeunes). Dans un habile procédé de montage parallèle, une mystérieuse voiture noire semble la suivre; le montage révèle autant le futur compagnon de cette femme, passant sa vie "en parallèle" à sa douce aimée; procédé révélateur également des différents drames se passant en parallèle au destin de l'héroïne principale.
Yoshida est un véritable artiste, qui pense profondément son histoire et chacun de ses plans; l'intrigue, autant que les images colportent donc toutes un double-sens lourd de sens. Une œuvre prise de tête, mais loin d'être inaccessible, ni chiante à mourir. A l'instar d'une pièce dramatique, quasiment en huis-clos (le drame entier se joue dans la tête des protagonistes), chaque parole a son importance et chaque personnage un rôle bien spécifique. Ai incarne le traumatisant épisode de la bombe atomique à Hiroshima (magnifiquement récréé par une série de tableaux immenses dans le musée dédié à la mémoire du funèbre épisode historique, comme autant que les quelques bribes de souvenirs laissés aux générations suivantes); Miwa, la génération, qui a voulu "oublier" (elle est amnésique). Natsuki, la petite-fille est de la génération d'après, celle qui – à force "d'oublier" – en est venue jusqu'à oublier sa propre identité et à être partie à l'étranger (aux USA, ce qui n'a assurément rien de fortuit…); et il y a également cette jeune journaliste, qui mène un travail d'investigation portée sur le "sensationnel" pour tenter d'évoquer et de pouvoir retracer le passé.
Effectivement, tout ce petit monde est légèrement désincarnée pour mieux pouvoir porter el sens de la métaphore; ce n'est donc moins un drame humain, qu'une tentative de retracer le drame d'une Humanité entière. Comme la toile d'un maître, fascinant de beauté, mais qui nargue l'inconscient par sa perfection et sa supériorité technique, qu'il faut se donner de la peine à déchiffrer.