The Elegant Life of Mr. Everyman s’inscrit dans la veine moins connue du cinéma d’Okamoto Kihachi, c’est à dire celle de la comédie satirique. En s’attaquant à une partie de la vie d’un salaryman qui sort un peu du moule habituel, le cinéaste fait un drôle d’état des lieux de la société nippone. Si d’apparence tout à fait classique, attachant par sa bonne bouille et ses grosses lunettes vissées sur la trogne, Eburi se révèle être un personnage sortant quelque peu des conventions en montrant son désintérêt pour ce que ses collègues de travail trouvent justement intéressant. A savoir ces parties de volley, ces chants porteurs d’une véritable énergie communicative, l’ambiance du travail. Pourtant, Eburi reste encore circonspect face à l’intérêt de la chose, aimerait aller boire un coup avec les collègues après le travail, sortir d’un système trop carré pour lui. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer, mais ses collègues de travail semblent gentiment le snober ou semblent alors trop occupés par leur vie de famille.
Eburi va alors s’amuser à faire son autobiographie en relatant sa vie et ses aventures, une idée émergeant après une soirée particulièrement arrosée -en solitaire- au bar du coin après une dure journée de travail. A travers ses récits, l’homme y expose sous l’œil attentif de son épouse divers faits du passé (dont un épisode revenant sur ses « exploits » en tant que soldat durant la Seconde Guerre Mondiale) et du présent, tout en prenant en grippe la société nippone actuelle. On ne peut alors pas s’empêcher de penser qu’Okamoto Kihachi se sert du personnage fictionnel d’Eburi pour y exposer son point de vue sur cette même société, une astuce pas tout à fait nouvelle mais méritant d’être soulignée car ce procédé ne transpire jamais la malhonnêteté. La plupart des faits y sont racontés avec un humour acide, mais jamais traités sous le ton de la bouffonnerie. Certains épisodes de sa vie sont même particulièrement drôles, comme ses premiers souvenirs de fils, de mari et de père (son père difficilement gérable, les crises de tétanie de sa femme qu’aucun médecin n’arrive à diagnostiquer correctement, l’asthme de son fils et les charlatans qui prônent les poudres magiques), sa faculté à raconter sa vie de salaryman en s’amusant à arrêter le temps autour de lui, sa rencontre avec sa femme sous forme de dessin animé minimaliste et au charme délicieux, et plein d’autres encore.
Il semble difficile d’énumérer tous les faits de ce portrait d’un homme pas tout à fait comme les autres, et dont le grand succès de son livre autobiographique va même finir par aggraver son cas, l’homme étant parti dans ses grands discours dont tout le monde se fiche. Preuve en est l’agacement général en fin de métrage de la plupart de ses collaborateurs plus ou moins proches. D’ailleurs, Eburi arrive même à agacer le spectateur par ses monologues interminables. L’homme finira comme au départ, c'est-à-dire seul, à penser le contraire de ce que la moyenne pense, sans forcément paraître atteint. A croire que cet épisode du succès d’un temps n’aura servi à rien dans une société qui semble bien imperturbable. The Elegant Life of Mr. Everyman (comprenons avec ironie, « monsieur tout le monde ») parvient donc à faire un état des lieux assez crispant du Japon contemporain, à la fois dans les moments de joie et dans les grands moments de solitude du salaryman Eburi. Filmé dans un scope dont la largeur y est parfaitement optimisée et accompagné par la partition musicale pleine de vie de Sato Masaru, cette réussite de la comédie satirique démontre un visage que l’on ne connaissait pas forcément du spectaculaire cinéaste du Sabre du mal ou du Samouraï, qui utilise ici une structure privilégiant un type de narration s’approchant grandement de la littérature. Et prouve combien Okamoto est à l’aise dans tous les genres.
Une oeuvre assez aride – mais sans doute la plus personnelle dans l'oeuvre prolifique d'Okamoto. Sur le ton de la comédie légère, le cinéaste dévie vers un ton largement plus satirique avant d'intégrer bon nombre d'éléments autobiographiques (son éternelle implication dans la Seconde Guerre Mondiale) et de réussir une profonde réflexion sur son pays.
Le scénario réussit tout à fait à dépeindre les petits travers du quotidien de Monsieur Tout-le-monde, avant d'oser présenter une réflexion plus approfondie, mais réellement porteuse.
Des situations comiques en séquences animées, on passe à des très longues plages dialoguées. Un brin désarçonnantes au début, un second visionnage et l'écho en mémoire de bon nombre de paroles en font un pamphlet majeur, d'un cinéaste usant de l'outil cinématographique pour crier sa propre version des choses à la face du monde. La reprise de la séquence du début en fin du film est un constat d'autant plus amer et la plus belle représentation de l'isolement d'un homme au sein de l'impitoyable société (de consommation et de léger divertissement) qui soit.