Champ libre
Digital Juice est un omnibus composé de six courts réalisés par les artistes du Studio 4°C et se place avant tout comme une démo technique de la large palette que maîtrise et expérimente le studio, même si la part de rêve n'y est pas oubliée. Les six courts ont en commun des tentatives diverses d'intégrer 3D et 2D avec le plus de liberté créative, et le résultat bien que déroutant et peu cohérent est assez unique pour faire de ce jus digital un bon instant culte et acidulé.
1. The Lord of the Sword aka Kei Kaku (2.10 min) de Hidekazu Ohara
Petite démo à la Samourai Shodown qui présente une brochette de guerriers disparates dans un style visuel approchant un peu program, quelques budget et maîtrise en moins. Le résultat est pêchu même si ce générique est très rapide. Les incrustations des noms de guerriers et une musique hardos occidentale ajoutent au typé de l'affaire. Quelques rotations de caméra, légers effets 3D discrets, fumées, feux et autres lignes de vitesse classiques se mêlent à un style graphique entre manga et pures estampes japonaises avec une saveur indéniable.
2. Chicken’s insurance (3.20 min) de Hiroaki Hando
Chicken's insurance raconte l'hitoire d'un poulet qui explique à ses mal élevés de petits poussins comment ne pas faire n'importe quoi et qu'est-ce que le vrai courage en leur donnant une leçon orale puis en leur contant la légende d'une énorme vague qui s'est abattue sur une frêle esquiffe... Enfin un truc comme ça. Bref, le principal est le traitement graphique tout à fait étonnant. Une nouvelle expérimentation qui tente de mêler perspective 3D et textures 2D avec un résultat très original. Le plus simple est de regarder les images pour avoir une idée du résultat. Le passage de la vague qui déferle est assez terrassant et l'effet très original : formes tridimensionnelles propres et par dessus texturage et colorisation à grand coups de lavis, de peinture et de crayons "roughés".
3. Kin Jin Kitto (35 sec) de Tatsuyuki Tanaka
35 secondes extrêmement maîtrisées d'une fille qui marche dans un couloir en vue subjective pour l'essentiel. A mi chemin entre le noir et blanc et une subtile colorisation, les textures du couloir, les mouvements de caméra et les éléments du décor sont très réussis tout comme la dynamique qui donne un rendu en 3 dimensions superbe. Une petite expérimentation qui montre un savoir faire bien balèze quand il s'agit de faire du gros calibre. Car il s'agit bien de 35 secondes de gros calibre assurément fignolé qui montre encore une fois une intégration parfaite de la 2D dans un décor tridimensionnel.
4. In the evening of a moonlit night aka Tsukiyo no Ban (4.25 min) de Kazuyoshi Yaginuma
En voilà un de nouveau très spécial. Ce court est en fait un clip musical qui raconte une histoire de belle princesse chanteuse et de ses deux amoureux sur fond de musique pop mielleuse bien sucrée, reprise dans une pub française d'ailleurs. Une sorte d'hommage aux bons vieux animés fin 80's, début 90's, typique dans son graphisme et sa musique pop fraise des bois, et en même temps détourné avec un propos plus adulte par instants (des bribes érotiques notamment comme les doigts de pieds de la jeune fille étonnament longs et ses tétons tout mignons qui dépassent de sa salopette), une ville, véritable profusion d'éléments kitchs (on y voit même le submersible requin et la fusée de Tintin !), et des couleurs violacées qui appuient une certaine mélancolie douce amère. Une histoire de jolie petite ado, petite princesse au centre d'un trio amoureux complété par un jeune et innocent guitariste amoureux et un prince vaillant à la chevelure argentée qui semble prêt à décrocher la lune pour sa petite princesse... Mais non, en fait c'est un astronaute qui part en voyage et laisse pour seul souvenir des roses et un robot pour contenter la jeune amoureuse... Enfin bref, c'est pop, c'est aussi kawaï que ténébreux, le graphisme y est classique, naïf voir presque laid et en même temps foisonnant et très singulier dans son approche. Une capture sera certainement plus parlante.
5. Table and Fishman (5.20 min) de Osamu Kobayashi
Ce court commence par un homme poisson qui prend le thé que lui amène sa fidéle table vivante avant d'entamer une histoire de Bonnie and Clyde futuriste que l'on va bientôt suivre le temps d'un fondu noir et blanc subtil. Déferlement de dessins colorés tantôt précis comme du Bilal, tantôt (volontairement) simplistes voir laids (pour les deux héros gangsters d'amour notamment), Table and Fishman ajoute encore quelques éléments 3D là aussi tantôt extrêmement réussis (la table et l'homme poisson), tantôt (volontairement) simplistes (les aéro jets de la police où les femmes nues du casino). Le rendu "cell shading" se mélange aux textures flashy et autres crayonnés divers et variés et l'intégration des quelques objets 3D avec des textures 2D caoutchouteuses n'en est que plus habilement dissimulé. Enfin bref, une capture est plus parlante. Le tout est en tout cas assez dynamique et très hétéroclyte à tel point qu'on croirait voir plusieurs animés au lieu d'un seul. L'histoire, vagues pérégrinations d'un couple à la Tueurs nés, n'a toujours pas le moindre intérêt. Le principal étant la palette de techniques que le studio 4°C et ses créateurs testent avec gourmandise. Un court très acidulé en tout cas, sur fond de dance foireuse.
6. Aerial Bar (4.25 min) de Koji Morimoto
Le cadre, un bar aérien où ce cotoient des conserves, carottes, boîtes à sardines, des verres et autres ustensiles qui discutent, se chamaillent ou s'embrassent autour d'un... verre, et une majorité du court qui se passe en vue subjective d'une jeune et frêle... coupe de vin vivante ce qui trouble encore plus la compréhension de la chose. Aerial Bar est le seul court de Digital Juice s'appuyant entièrement sur la 3D. Ceux qui veulent du space comme on pouvait en voir dans les expérimentations des premières éditions du festival Imagina vont être servi, le problème c'est que 2002, ce n'est plus 98 ou 99, et Aerial Bar fait un peu daté avec ses grosses conserves bien géométriques flanquées de vraies trognes humaines grimaçantes façon.. (je sais plus ^_^', un artiste faisait ça déjà, une expo avec des visages qui parlent plaqués sur des objets comme un ballon... Mmmh, désolé), ceci pour la base. il y a ensuite un vrai travail de couleurs, de textures et de cadrages qui singularisent encore l'ensemble mais le résultat est pour le moins déroutant et ne transmet pas grand chose si ce n'est la perplexité, surtout que le rythme lancinant n'aide pas à l'enthousiasme. Le plus étonnant est que le responsable de cette pure expérimentation technique n'est autre que Morimoto Koji qui traîne ici dans un style 100% opposé à ses habitudes. Le résultat est en tout cas bien étrange et annonce un peu la technique géniale des visages réels mélangés aux dessins présente dans Mindgame, mais le chemin est encore assez long entre les boîtes de conserve ici présentes et la parfaite intégration de Mindgame.
Bref, daté de 2002 et derrière son étrangeté un brin désuète, Digital juice offre de quoi nourrir les mirettes encore aujourd'hui.
Curieux assemblage
Avis Express
Plus une démo technologique qu'un vrai projet de cinéma, ce très court
Digital Juice annonce en guise de brouillon les nouvelles expérimentations d'un
Deep Imagination avant qu'entre temps le Studio 4°C mette plus en forme encore ce genre d'acquis dans le furieux
Mind Game. Reste qu'hormis un ou deux sketchs valant le détour (l'épique
Table & Fishman et le poético-vicelard
In the Evening of a Moonlit Night) l'ensemble fait beaucoup plus office de démo qu'on présenterait en salon plutôt que de courts-métrages un tant soit peu captivants. Ce n'est pas qu'on soit contre un court qui fait office de générique d'intro et de conclusion (
Kei Kaku), ni même de voir un poulet-boulet proposer des assurances sous fond de musique à la MC Hammer, mais l'ensemble est bien trop bref pour marquer les esprits, surtout en 2009 maintenant où ces techniques visuelles paraissent tout de suite plus datées. Une curiosité avant tout.