Dans la lignée
Après s'être penché sur les danseuses de Pyongyang et l'équipe de football nord-coréenne en coupe du monde, Daniel Gordon s'intéresse à un américain, soldat au bord de la DMZ, qui prend l'initiative en 1962 de traverser la frontière pour trouver refuge en Corée du Nord. On suit ainsi son parcours, avant d'être militaire, et les raisons qui l'ont poussé à franchir le pas. On apprend ainsi que ce n'était pas par passion pour le communisme, qu'il craignait, mais plutôt pour échapper à la court martiale qui l'attendait suite à des manquements à son devoir. Puis on découvre comment il a survécu dans ce pays ultra-fermé et comment il est devenu un héros. Objectivement, il est intéressant de découvrir cette histoire plutôt insolite, mais il faut reconnaître que le film en manque beaucoup, d'objectivité. Certes Gordon montre les différents points de vue des personnages présents, mais toujours dans le cercle de la "vérité" du personnage principal. Ainsi, quand on parle de lui c'est "il a fait", "on lui a dit", et dès qu'une personne sort de cette vérité, on nous pond des "soit disant", "paraîtrait-il", qui rabaissent leurs témoignages par rapport au message que l'on veut faire passer.
Ainsi, comme les deux précédents films de Gordon, Crossing the Line a la fâcheuse tendance à donner des excuses à une idéologie que l'on s'accorde en général à trouver plutôt rebutante au niveau des droits de l'homme. Il faut tout de même reconnaître qu'il reste relativement sobre, et nous évite une propagande dégueulasse ; également c'est sans doute son sésame pour retourner à chaque fois en Corée du Nord, où il est bien vu, et nous ramener des documentaires précieux sur un pays qui limite à l'extrême l'entrée des journalistes et autres documentaristes. Mais même si on peut lui pardonner de se vendre un peu trop au régime, c'est vraiment agaçant de voir des plans grandioses rendant colossaux les différents monuments de Pyongyang faisant référence à une idéologie vraiment moche.
Enfin, j'ai quand même eu un petit rire au début en voyant apparaitre, comme nom de narrateur, Christian Slater, la star du bis américain, dans ce qui ressemblait plus à une bande annonce qu'à une introduction. Gordon aurait peut-être pu s'attacher la collaboration de quelqu'un d'un peu plus crédible que l'acteur de Alone in The Dark pour traiter de ce sujet épineux. Mais bon, c'est tout de même à voir, et la réalisation n'est pas ennuyeuse, pour un sujet qui n'est malheureusement pas traité avec assez d'objectivité.
A contre-sens
Encore une fois, c’est une histoire complètement dingue que nous narre Daniel Gordon sur la Corée du Nord. Imaginez donc : 4 soldats américains postés à la frontière entre le Nord communiste et le Sud capitaliste en pleine guerre décident de déserter l’armée et de rejoindre l’ennemi à quelques mois d’intervalle en traversant les lignes au péril de leur vie vers un futur bien indécis. Accueillis en héros par les dirigeants communistes qui se servent d’eux pour donner une autre tournure à leur propagande, conspués par la population car représentants du grand Satan impérialiste avant d’être adulés à la suite du tournage d’un film populaire où ils sont les héros, ils embarrassent de l’autre côté les américains qui tentent de dissimuler ce camouflet en niant les faits.
Pour James Dresnok, l’un des 4 compères, cela fait maintenant près de 50 ans qu’il vit en vase clos au sein de la pire dictature au monde et qu’il se contente d’un statut bizarroïde, protégé par le gouvernement mais maintenu quelque peu à l’écart du reste de la population, avec un fils de nationalité américaine qui parle à peine l’anglais, tentant de nous expliquer qu’il est le plus heureux des hommes et qu’il ne regrette pas son choix tout en laissant flotter un petit parfum de doute assez troublant. Son témoignage n’est-il pas finalement un appel au secours déguisé, une demande de pardon à son pays d’origine sous la couche inévitable de politiquement correct ? Et qu’est-ce que c’est que ces intrigues de caniveau entre lui et ses 3 autres camarades ? Pour tout dire, Dresnok le vieux soldat fait un peu pitié.
Et l’on a la singulière impression que Gordon, encore une fois très partisan dans son propos, ne nous dit pas tout, à moins qu’il soit lui-même victime en partie d’une manipulation qu’il ne contrôle pas. Son documentaire finit en queue de poisson et on ne sait trop quoi en penser. Justement une bonne raison pour le voir et tenter de percer les mystères de ce drôle de film.