Fukasaku déjà en grande forme au service d'un polar efficace
A l'heure où Fukasaku était bien loin de sa période la plus créative, il signait déjà un brûlot efficace contre la société et l'économie du pays, dans une époque semble t-il contemporaine.
Kamikaze Club c'est l'histoire de quelques paumés aux idées utopiques, anarchistes et inconscients de leurs faits et gestes. Pour gagner leur vie aisément, ils décident de monter complots et chantages contre la mafia locale afin d'y récupérer par la suite quelques millions de yens. Fukasaku dépeint au travers de ce portrait sociétal une situation accablante : les majors sont corrompus, les brigades de police sont incapables et les journalistes vont jusqu'à espionner leurs hôtes sans le moindre scrupule et la gente modeste peut s'attaquer à n'importe quel bandit. Tout est possible et Fukasaku le démontre avec un regard non sans ironie : le récit désenchanté est ponctué par la voix off du héros principal, Muraki, ancien barman et laveur de chiottes, narrant avec humour son propre destin. Cette idée de mise en scène est dans l'ensemble merveilleuse et réussit à nous décrocher quelques sourires notamment lorsque Muraki reconnaît sa parole de travers envers un boss yakuza lui proposant d'acheter son silence :
"Tu n'as rien entendu", Muraki saisit le billet, poursuit par un impertinent
"Je ne peux rien vous garantir", arrêt sur image Fukasakien et Muraki en voix off de dire
"Là, j'avais dit une connerie". S'en suit un passage à tabac renversant dans tous les sens du terme. Cette technique de mise en scène et cette approche décalée du polar traditionnel ne tarderont pas à représenter le style si cher de son auteur qui même quarante ans après n'a pas perdu le centième de sa modernité, où audaces formelles débridées et propos particulièrement virulents en marge de la société étaient la marque de fabrique, le repère des cinéastes de la nouvelle vague enclenchée par Oshima et Masumura.
D'ailleurs le rapprochement entre Kamikaze Club et l'oeuvre débutante d'Oshima est précieux, là où Oshima dressait un portrait nihiliste et utopique de la jeunesse, Kamikaze Club ne fait que le confirmer huit ans plus tard (les dix premières minutes explicites montrent des "jeunes" qui en ont marre), ce qui explique aussi le côté avant-gardiste d'Oshima sur la société, sur son pays. Il est aussi intéressant de noter la volonté de Fukasaku de codifier un genre nouveau, d'imposer un style au polar traditionnel par son savoir-faire évident, souvent hallucinant compte tenu de l'époque à laquelle le film a été tourné. Nous ne sommes pas dans les midseventies et pourtant Fukasaku livre un véritable récital de ce qu'il entreprendra à l'avenir sans pour autant le magnifier davantage. Tout son cinéma est déjà bien là, ses téléobjectifs nombreux, ses basculements de caméra, ses changements de couleurs donnant un surplus d'âme poétique aux flash-back, ses féroces arrêts sur image et son montage cut mais cohérent apportent un nouveau souffle au cinéma de genre. Enfin, évoquons les deux superbes titres d'exploitation, "Blackmail" est sa définition du chantage explicitée par le héros lui-même "faire chanter c'est ma vie" et Kamikaze Club pour l'inconscience et l'utopie des actes. Ils reflètent parfaitement l'esprit originel et le climax voulu par le cinéaste, nihiliste au possible et au final désenchanté. Tout le monde ne peut pas s'attaquer au milieu sans être sûr d'y perdre des plumes, mais quand on est jeune, tout semble possible. Oui, tout "semble"...
Surchauffe
Blackmail is my life, c'est déjà du pur FUKASAKU bien avant ses chefs d'oeuvre seventies. Déjà parce qu'on y retrouve ses thèmes favoris: la vision au vitriol du miracle économique japonais au travers de personnages marginaux et butés -ici des maîtres chanteurs qui veulent s'approprier l'argent généré par le décollage économique du Japon à leur manière forte-, les fortunes douteuses qui ont pu naître sur les ruines du Japon de l'immédiat après-guerre, la dénonciation des liens entre le monde des yakuzas et le milieu politique. Et aussi pur FUKASAKU dans son style. Parce que le film est un des plus expérimentaux stylistiquement du bonhomme, une oeuvre qui peut s'apprécier en tant que festival du style FUKASAKU. Ici, tout est surmultiplié: les caméras à l'épaule, les coups de zooms, les fameux téléobjectifs qui ont fait la réputation du cinéaste, ses cadrages penchés, ses arrêts sur image reproduits à l'infini.
Et qu'à cette expérimentation-là s'ajoute celle sur les couleurs: on passe ici du noir et blanc à la couleur en plein milieu d'un flash back, les effets de style cités plus haut sont parfois combinés à des filtres monochromatiques. Oui, c'est de la surenchère qui n'a rien à envier aux multiples coups de zooms de certains giallos signés FULCI mais elle finit par emporter le morceau. Surtout lorsque FUKASAKU n'hésite pas comme son compère SUZUKI à nous traîner dans les boites en vogue d'un Japon pop où les riffs rock'n'roll déchirent l'atmosphère ou à filmer des jets de cocktails molotov dans le noir. La limite c'est que FUKASAKU cherche aussi à faire sa surenchère sur le plan narratif en multipliant les flashbacks au risque de finir par rendre le récit embrouillé et de négliger de vraiment développer sa dimension politique qui affleure parfois derrière le déjà vu de film noir. Heureusement qu'un casting béton comme à l'habitude chez le cinéaste -MATSUKATA Hiroki, TANBA Tetsuro- permet au spectateur de s'attacher aux personnages malgré tout. Et puis quel plaisir de réentendre le thème musical de Tokyo Drifter...
Mineur et baclé d'après son auteur, il s'agit pourtant d'un jalon essentiel de son oeuvre d'un point de vue stylistique.
Le plus beau Fukasaku ?
Blackmail is my life est peut être l’œuvre la plus aboutie de Fukasaku Kinji sur le plan visuel. Si ses réalisations à venir (telles le
Cimetière de la Morale) conservent une puissance visuelle inégalée, rarement dans la filmographie du maître on aura vu pareil festival de zooms et travellings audacieux, d’arrêts sur images en pagaille, de passages de la couleur au noir et blanc en passant par le sépia, de cadres obliques, de jeu de focales, d’expérimentations chromatiques (les couleurs du film sont resplendissantes)… Pour un peu, on se croirait dans un film de Suzuki Seijun (explicitement cité à travers le thème fameux de son
Tokyo Nagaremono, un an après son éviction de la Nikkatsu, est-ce un hommage ? Une marque de soutien ?) même si
Blackmail is my life porte la marque de son auteur de manière patente. Le scénario, écrit en un week-end par Fukasaku et trois de ses amis fait une fois de plus l’expression du vif sentiment de révolte à l’égard de la nouvelle société japonaise et du regard hypocrite traditionnellement porté sur le miracle économique et ses conséquences. Ainsi, l’intrigue (très) classique, quoique emberlificotée par un déluge de flash-back morcelés, n’est qu’une énième évocation de thèmes évoqués dans la plupart des films du Fukasaku 70s. Reste ce qui fait la singularité de
Blackmail is my life, sa richesse plastique donc, mais aussi le ton très « bright sixties » entre score jazzy et ambiance de clubs, le souffle d’audace et d’insouciance qui parcoure la première partie du film, et quelques morceaux de bravoure de tout premier choix à l’image de la scène des cocktail molotov (au montage assez ahurissant). En bref,
Blackmail is my life constitue une œuvre de plus à ranger du côté des classiques de Fukasaku, plus pour sa forme éclatante que son fond puisque la diatribe socio-politique de Fukasaku trouvera sa pleine mesure quelques années plus tard, notamment au sein du genre codifié du Yakuza-eiga.
Un petit bijou du grand Fukasaku
A l'approche de la quarantaine, se film de Kinji Fukasaku n'a pas pris une seule ride, il est excellent et toujours interressant a regarder. Une totale réussite tant au scénario qu'a la réalisation.
Du grand Art!!
Imbattable
Grand moment pop sublime, Blackmail is my life est aussi vif qu'un coup de cran d'arrêt bien placé. Eclaté, saturé, bordélique et génial, c'est encore l'un de ces grands moments sans correction d'un Fukasaku sauvage, vif et visionnaire. C'est du néo-réalisme kitsch, pris sans hasard au milieu d'une sérigraphie signé par Warhol. Blackmail is my life jouit d'une liberté inouie, ses plans, son découpage, son montage, toute sa mise en scène n'est qu'un acte ravageur aux conventions et le film un grand poème bourré d'une humanité sans discours. Tout n'y est que sensualité ténue éclatant comme des saillis à l'érotisme sanguinaire. On y fait l'amour comme des fous dans une bagnole comme s'il ne restait plus que ça à vivre lorsque tout est gangréné. Entre cinéma purement graphique et violent, on s'y glisse comme si tout y était la représentation de la facture la plus cool et moderne. Du cinéma essentiel, rare, sans schéma, sans direction. Un grand moment de liberté.
The Sting...
- Avis avec spoiler -
Dire que le style de Blackmail is my life est bâclé, comme semble l'entendre Fukasaku peut paraitre un doux euphémisme, mais le baclage est probablement ce qui fait que l'on s'attache à l'oeuvre entière de Fukasaku... dans le fond, ce sont les films qui semblent le plus bâclés qui sont le plus représentatifs de son style et il semblerait abusif de déclarer que ce film-ci l'est de loin plus que Cimetière de la morale ou Combats sans code d'honneur. La différence de ce film avec ses oeuvres plus tardives ne tient pas au style, au thêmes, mais simplement à la façon, relativement plus traditionnelles (tout cela est bien entendu à relativiser), de développer l'histoire et les personnages. Là où les grands films seventies se posent comme de véritables tragédies, celle d'une époque, d'un monde, dans lesquelles les personnages sont désintégrés et broyés dans la marche de l'inéluctable (c'est toute la force inouïe de Cimetière de la morale, en ce que son personnage Ishikawa est celui qui se débat comme un beau diable dans un engrenage infernal qui le conduira à la folie et à la mort), Blackmail is my life fait plutôt figure de drame, au sens où c'est la question du choix et de la faute qui se pose... le personnage de Matsukata Hiroki est un escroc qui est victime de sa propre ambition et de sa propre loyauté. Ce n'est que dans la mesure où il veut pêter plus haut que son cul qu'il faillit à survivre et s'expose à la sanction ultilme... c'est pourquoi ce film est plus orienté sur les personnages du drame, leur psycholgie, leurs états d'âme, que d'habitude (l'exemple inverse ultime étant incarné par la série des Jingi naki tatakai, où les différents personnages sont autant de figures abstraites qui pretent leur visage à des configurations abstraites, à des noeuds de pouvoir, des antagonismes, des positions stratégiques,...) Ce qui rend ce film paradoxalement (dans la mesure où il est surement le plus chargé esthétiquement des Fukasaku) plus classique et linéaire dans son déroulement. Tout cela n'enlève rien au caractère admirable de ce film, il en définit et en limite d'autant mieux la position de Kamikaze club (titre ridicule...) dans l'oeuvre de Fukasaku.
J'ai un peu honte là, j'ai m'impression d'être passé de quelque chose quand je vois les autres notes. Peut être étais dû à un manque de concentration mais je ne suis pas vraiment rentré dans l'histoire.
FUKASAKU est déjà très moderne dans sa réalisation, le talent est là mais je n'ai pas été aussi impliqué que dans Combats sans code d'honneur par exemple.
A revoir peut etre plus tard...