Surprenant et prometteur
Ce premier film coréen est étonnant à plus d’un titre. D’abord parce que, en soit, il contient plusieurs moments très étranges, notamment ces sublimes plans avec l’enfant dans une maison désaffectée (cf photo), ou une scène assez surréaliste dans un Museum d’histoire naturelle, autour d’oiseaux empaillés. Le film est étonnant aussi par la maîtrise du réalisateur de tous ses éléments, maîtrise que l’on trouve plus souvent chez des artistes confirmés. Enfin The bird that stops in the air n’a pas l’air d’un film coréen, ou plutôt, puisque le style coréen est très hétéroclite, ce film semble venir de Taïwan. Même désenchantement sur le fond, même esprit retenu et très romantique « je t’aime mais je ne te toucherai jamais », même façon de filmer en plan séquences assez longs, souvent de loin, d’où ce même art de générer une tension palpable entre les acteurs.
Taïwan, donc, mais aussi la France, car en plus de quelques références cinéphiliques (à Mauvais Sang de Léos Carax), le film prend pour héros un professeur de cinéma qui n’arrive pas à réaliser son premier film et est réalisé par un professeur de cinéma, métier qui semble avoir été inventé en France pendant la Nouvelle Vague. Ce sujet est chiant à priori, cela plaît dans les festivals et dans le milieu des cinéphiles parisiens. Mais Jeon Soo-il dépasse le nombrilisme en faisant de l’impossibilité de réaliser ses rêves un thème général, une vision du monde qui rejoint l’esprit fataliste typiquement coréen.
L’important, ici, n’est pas dans l’intrigue même mais dans ce que le réalisateur en fait. Et Jeon Soo-il s’affirme comme un auteur très prometteur, ni trop brouillon (le défaut des premiers films) ni trop appliqué ou théorique (le défaut des professeurs de cinéma…). Le film décolle lorsqu’il se transforme en road-movie entre le professeur et une collègue dont il est visiblement amoureux.
Ce film confirme une nouvelle fois l’évidence : la Corée nous offre des films d’une diversité unique au monde. Son cas, très différend de tous les autres pays asiatiques « à la mode », est plus proche du Japon. En Corée, on fait à la fois le bulldozer Shiri, l’OVNI L’île et The Bird that stops in the air. Ça fait plaisir à voir.
Dans l'erreur
Ce qu'il faut éviter à tout prix, c'est de voir L'oiseau qui suspend son vol à la télévision, elle est incapable de rendre grâce à la beauté du film et à la rigueur de sa mise en scène. Film d'une cohérence totale, L'oiseau qui suspend son vol emprunte plus à Tarkovski et Antonioni qu'à Tsai Ming Liang ou Hou Hsiao Hsien. C'est une oeuvre âpre, désespérée sur la création. Un récit d'une logique absolument parfaite. Jeon Soo-il, auteur marginal, radical dans une Corée vouée au conformisme en sort d'autant plus grand. Tout le film travaille une logique du bord, cadre, personnage, auteur. Il questionne l'espace, l'enfermement. Met en image la programmation conceptuel de l'oiseau en vol, figé, dans les moindres aspects du film : enlisement du récit, héros lymphatique. Tout n'est que communication impossible, indifférence, séparation (magnifiquement métaphorisés par des arrières plans, des détails dans l'espace). Jeon Soo-il n'est pas à ranger quelque part, il est nulle part, en Corée, ici, ailleurs. La beauté de son travail sur la distanciation n'est jamais une finitude, mais que des questions de mise en scène, une manière de concevoir une logique à chaque éléments du film.