Sans peur, ni (re)proches
La première moitié des années 1990 a été une période de vie extrêmement prolifique pour Kore-eda. En pre-production sur son premier long, Marobosi, il tourne également en même temps les documentaires "August without him" et "Without memory", qui nécessitent tous deux des longs mois de suivi des protagonistes principaux. Tous trois projets sont reliés par la fascination et curiosité du réalisateur à étudier tout ce qui concerne la "mémoire" ou plutôt le SOUVENIR chez l'humain.
Alors que "Marobosi" concerne le DEUIL du souvenir d'un être cher disparu, "Without him" s'intéresse à un homme, capable de se remémorer les 30 premières années de sa vie, mais – suite à une opération – n'est plus capable d'emmagasiner aucun nouveau souvenir.
"August without him" s'intéresse à l'évocation d'une vie PASSEE par un homme qui se sait condamné à mourir d'un jour à l'autre. Ce dernier profite pleinement du présent pour vivre chaque instant, comme si c'était le dernier et en même temps, il est incapable de ne pas penser à tout le chemin parcouru. Alors, qu'il est tout le temps en mouvement pour ne surtout pas penser à sa maladie et se fixer toujours des nouveaux buts pour avoir quelque chose à se raccrocher, il revient dans des moments de doute et / ou plus calmes en compagnie de Kore-eda sur ce qui a été AVANT. Simple anecdote d'un tirage de loto perdu ou visite de la tombe du père défunt, l'homme revient sur les temps forts, comme les petits riens, qui ont ponctué son quotidien. La maladie du sida occupe, pendant ce temps, une place prépondérante, comme de seconde pensée; prépondérante, car elle est le catalyseur de tout le présent et en même temps, notre protagoniste principal fait tout pour l'oublier, la combattre, la faire plier sous sa prorpe volonté…Sauf que personne n'échappe à la mort.
Kore-eda est proprement fasciné par cet homme égocentrique à la fois par un égo démesuré, mais également par la force des choses, pour se donner la force et la volonté de toujours aller de l'avant. Tantôt charmeur, séducteur, puis terrorisé à l'idée de devenir aveugle ou de finir seul Kore-eda n'est pas dupe, ni du jeu de caméra de son témoin, ni d'être une sorte de "jouet" pour servir aux fins personnelles de son protagoniste…en même temps, il le dit lui-même: du simple sujet de documentaire, l'homme devient rapidement un véritable ami et les séances d'interview bientôt plus que des simples prétextes pour passer du temps ensemble, l'aider au quotidien, lui tenir compagnie dans les derniers jours, semaines, mois de cet incroyable battant de la vie.
La fin est évidente, mais d'autant plus terrible à suivre: la Mort aura évidemment raison de notre homme; mais elle le fait de manière cruelle, froide, implacable et notre chevalier battant au jour le jour meurt dans la peur la plus profonde. Kore-eda s'efface totalement derrière le sujet de son film, ne rajoute rien, expose les choses…en même temps, on ressent tout ce qui a dû l'affecter personnellement – sans parler de l'inspiration évidente dont ce documentaire lui aura servi pour ses futurs films. Un grand documentaire.