Il est étonnant de voir qu'Imamura n'ait pas cru aux qualités formidables de son Anguille, désertant le festival de Cannes avant même l'attribution des récompenses. Cette formidable leçon de vie nouvelle est à la fois un exercice de style narratif et visuel, le cinéaste titillant les sens du spectateur par sa mise en scène certes classique mais privilégiant une certaine liberté artistique avec ses plans étirés en longueur qui donnent plus de sens au réalisme (l'empoignade entre Takuro et l'alcoolique, surprenante), sa faculté à positionner la caméra dans des positions qui accentuent la force ou la faiblesse des personnages, l'utilisation juste suffisante d'effets spéciaux afin d'éviter de tomber dans le clinquant (Takuro miniaturisé faisant des allers-retours dans l'aquarium) ou encore ce zoom sec en fin de métrage, cerise sur le gâteau rayon surprises visuelles. Mais la grande fraîcheur du film est à mettre à l'actif d'une galerie de personnages tous plus attachants les uns que les autres. Dans le rôle de Takuro, Yakusho Koji excelle par sa sobriété et sa tenue d'ensemble véhiculant l'intégralité de son passé, là où les mots et longs discours seraient de trop. Keiko, demoiselle manquant de se suicider par overdose de médicaments, retrouve elle aussi le goût de la vie en accompagnant Takuro dans son salon de coiffure malgré ses démêlés avec son ex-mari, lequel l'accuse de lui avoir volé quelques millions de yens. Le reste du casting est particulièrement hétéroclite et sollicite nos joues plus d'une fois puisque l'on s'étonnera à sourire comme un gamin devant cette ribambelle de personnages colorés sortis tout droit de l'espace : et l'espace, l'un la guette puisqu'il passe son temps à attendre l'arrivée des extraterrestres, la mère de Keiko adepte du flamenco pour asile de fous, certains se la jouent intermédiaires cools à bord de leur 4x4 cabriolet rouge clinquant, tandis que d'autres s'imaginent yakuzas légaux
Le géni d'Imamura est d'avoir façonné une histoire finalement classique, la liberté conditionnelle d'un criminel frustré d'une femme qui prenait visiblement plus de plaisir avec un inconnu étant monnaie courante, mais ce qui fait la différence avec un film se rapprochant d'un tel contexte, thriller dans l'âme pourrait-on dire, ou alors téléfilm du dimanche midi pour la ménagère de moins de cinquante ans, c'est qu'Imamura semble être maître de son oeuvre : pas un cadrage raté ou pas un plan de trop, ligne narrative passionnante et foisonnant d'idées qui ne peuvent que la bonifier comme l'utilisation judicieuse de la symbolique de l'anguille, de l'hameçon, oeuvre foisonnant de séquences bien amenées comme lorsque Keiko tente tant bien que mal de fournir un repas à Takuro du haut d'un pont, lorsque Keiko confie à ce dernier qu'elle n'a jamais connu quelqu'un de si attentionné, lorsque l'on se voit pris de compassion pour Takuro qui subit les attaques radicales de personnes trop frustrées parce qu'elles n'ont pas réussi à se repentir de leurs actes et que se lamenter sur la tombe d'une victime ne suffit pas à fiche la paix à son âme. Le film regorge de trouvailles qui enchantent la chronique d'un homme bien. Un criminel, certes, mais un homme bien. N'oublions pas la superbe composition musicale de Ikebe Shinichiro lequel rend une copie sans faute, admirable. Imamura trouve ici un nouveau souffle avec L'Anguille, oeuvre qui n'a pas besoin de trop en faire ou trop en dire pour étonner (le cinéaste passant les huit années de prison de Takuro en un plan, il fallait oser) et qui prouve encore que les grands du cinéma japonais avaient encore à dire au cours des années 90, Kitano se voyant récompensé d'un Lion d'Or à Venise pour Hana Bi la même année. Drôle, romantique, philosophique, un conte de la vie courante à savourer.
Comment Mr Toutlemonde peut en arriver à perdre les pédales et déraper au point de tuer sa femme? C'est incroyable et même effrayant, de voir de quoi quelqu'un de paisible est capable sous un accès de colère. Tout porterait presque à croire que ce pauvre homme à rêver aussi bien la lettre que le meurtre, mais pas du tout, c'est la réalité et cela le bouleverse tout autant que le spectateur. Il en devient même incapable de blesser un poisson. Le pire, c'est qu’il a même peur de se réintégrer dans la société.
Où il a de la chance, c'est que la société va aller le chercher et que petit à petit tout un petit monde va se remettre en place autour de lui.
Il ne s'agit certainement pas d'une production qui aura nécessité des investissements trop importants, mais est-ce nécessaire lorsque l'histoire se suffit à elle-même. Comme quoi, il n'y a pas que des films d'action qui peuvent distraire.
L'Anguille est le magnifique récit de la réconciliation d'un homme avec son passé et le monde qui l'entoure. Mais ce qu'on aime surtout dans l'Anguille, c'est qu'il est aussi un bel hommage au cinéma de genre dans ce qu'il a de meilleur. En plaçant Yamashita en position de voyeur dans la scène du début du film (Fenetre sur Cour) et en lui faisant commettre au rasoir un crime guidé par sa frustration vis à vis du sexe opposé (Psychose), Imamura offre deux clins d'oeil appuyés à Alfred Hitchcock. Le magnifique score d'ouverture de Ikebe Shinichiro évoque quant à lui un Bernard Hermann apaisé de par son mélange d'angoisse et de calme. En bon disciple d'Hermann, Shunichi Ikebe va faire de son score la caisse de résonnance des tourments de Yamashita: ce score plein d'angoisse sans etre pathétique reflète son désir d'etre en paix avec son passé, sa capacité à ne rien laisser voir au monde extérieur de ses tourments. Le fait que Keiko lui évoque par son physique et ses attitudes sa femme défunte rappelle Vertigo. Dans les deux cas, il s'agit d'etres craignant le sexe opposé et tourmentés par le souvenir de la femme aimée. Mais le cinéma de genre va servir la satire du Japon obsédé du profit lors de la violente scène d'expédition punitive des chefs d'entreprise contre Keiko qui leur a soi-disant dérobé leur argent: on se retrouve alors face à des patrons en apparence policés mais dont les méthodes n'ont rien à envier à celles des yakuzas.
Mais cet agréable bonheur n'est pas le seul du film. Imamura nous offre une gallerie drole de personnages pittoresques allant d'une mère pratiquant avec force sensualité le flamenco à un homme attendant les ovnis qui fait écho à un Yamashita incapable de communiquer avec les humains. Avec Keiko, il nous offre un nouveau personnage de femme forte prenant toute seule ses décisions et résistant au tumulte du monde qui l'entoure: elle imposera ainsi à Yamashita sa volonté séductrice (l'installation de force chez lui, l'attente sur le pont avec sa métaphore de l'hameçon/Keiko attirant l'anguille/Yamashita, sa capacité à tenir tete à ses chefs d'entreprise et à prendre son parti dans la scène de l'expédition punitive). La réalisation est de facture classique mais offre des cadrages au cordeau ainsi qu'une vraie attention à la nature et au monde animal (les beaux gros plans sur l'anguille et les grenouilles). Quant à Yakusho Koji, il trouve un de ses meilleurs rôles où il réussit à incarner un être dont on puisse deviner les tourments intérieurs sans que ces derniers soient trop voyants pour le monde qui l'entoure: son jeu devient d'ailleurs plus tendu lors de la scène de l'expédition punitive comme si Yamashita y trouvait moyen d'extérioriser sa rage et de crever l'abçès de son passé.
Avec l'Anguille, Imamura obtenait une Palme d'or très méritée ex-aequo avec le superbe Gout de la Cerise. Et il offrait un nouvelle grande réussite cinématographique à une année 1997 -grand millésime cinématographique- pourtant pas avare de ce coté-là ( Happy Together, Hana-Bi, Lost Highway entre autres...).
A l’instar de son anguille, ce meurtrier d’un jour qui a payé ses dettes envers la société va être doucement apprivoisé par son nouvel entourage : un bonze, un chasseur d’ovni, un charpentier brutal et une jolie assistante. Objectif : lui redonner goût à la vie. Tout va commencer par le travail (petit patron d’un salon de coiffure dans un coin bien tranquille au bord d’un étang), puis par l’amour qui refait surface même s’il s’est juré de ne plus avoir affaire aux femmes. Mais malheureusement, comme on l’a appris avec De Palma notamment (Scarface, L’Impasse), le passé nous rattrape toujours, et voilà qu’une rumeur coure sur son meurtre et son attitude cavalière consistant à ne pas regretter son acte. Tout le monde va finir par être au courant, et Yamashita va devoir se battre pour gagner sa légitimité à vivre parmi les autres.
De même, à l’instar de Yamashita et de son anguille, le film de Imamura doit être apprivoisé afin qu’il puisse donner le meilleur de lui-même. Ce n’est pas difficile du tout car les personnages sont intéressants et le thème du film – la repentance et la réadaptation à la société après la prison – ne l’est pas moins. Mais il faut savoir entrer dans le monde de ce grand réalisateur humaniste, se laisser dorloter par les touches de poésie raffinées et la mélodie récurrente un peu décalée parsemant le film, et se laisser convaincre par son propos généreux. L’Anguille, Palme d’Or Cannes 1997, vaut bien d’ailleurs 2 visions.
L'Anguille est la palme d'or exaequo du festival de Cannes 1997. Le film est effectivement très bon et servi par des acteurs excellents. C'est un de mes premiers contacts avec le cinéma japonais, et le premier avec Shohei Imamura. Les personnages de ce petit monde sont très intéressants, toujours un peu étranges ou loufoques (cf le chasseur d'OVNI) mais arrivent néanmoins à sonner juste. Certains pourront trouver certains passages incompréhensibles (le personnage principal a une anguille apprivoisée à qui il parle... ), mais ils ne sont là que pour souligner la douleur permanente que ressent le personnage principal depuis la mort de sa femme ("Cette nuit-là, je suis mort avec elle").
En conclusion, si vous aimez le cinéma japonais, c'est un très bon film à ne pas louper. Et si vous êtes encore novice en la matière, c'est un excellent représentant de ce cinéma et d'un de ses piliers, qui vous surprendra probablement.