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A l'Ouest des Rails - Partie 1: Rouille 1
les avis de Cinemasie
2 critiques: 4.5/5
vos avis
6 critiques: 3.71/5
Une première oeuvre/révélation éclatante qui reste parfois à quai...
Critique portant sur les quatre parties
A l’Ouest des Rails, c’est le souffle épique du roman du dix-neuvième siècle retrouvé au travers de conditions d’élaboration proches de celles du B movie dans son sens originel, un projet cherchant vraiment à renouveler le cinéma loin du vacarme tapageur des petits malins ou des roublards qui claironnent leur pseudo-révolution du cinéma juste pour faire mousser leur ego.
Le film de Wang Bing est rien de moins qu’un documentaire qui enregistre quelque chose en train de disparaître, un retour à l’esprit des chefs d’œuvre néoréalistes, un film monde foisonnant de personnages attachants, une œuvre transformant la réalité quotidienne d’un Nord industriel de la Chine en pleine mutation en grand et ample roman qui à la manière des romans du dix-neuvième siècle se permet des digressions fascinantes par rapport à son thème principal (les histoires d'amour dans le village...) sans jamais perdre de vue la rigueur de sa structure d’ensemble, témoigne de son temps en en offrant un commentaire social d’une grande richesse et peut rivaliser avec ce versant-là de la littérature par sa longue durée. Mais il s'agit également d'un témoignage de ce que le réel peut avoir de cinématographique vu qu’il débusque le burlesque contenu dans une situation réelle, contient une histoire d’amour impossible, des moments de tristesse, du suspense, des coups de théatre, des passages chantés au karaoké, des disputes où on risque d’en venir aux poings, des dialogues entre collègues qui font éclater des observations sur la Chine contemporaine bref a cette diversité des genres abordés et des émotions exprimées qui retrouve le charme et la fraicheur des chefs d'oeuvre du muet. Le tout associé à un vrai regard de cinéaste capable de déceler l’ironie derrière un écriteau d’usine ou une ouvrière sur le départ qui chante au karaoké un hymne propagandiste aux réformes économiques de la Chine, qui filme les zones industrielles à coup de longs plans séquences hypnotiques filmés depuis un train, suit de dos ses personnages à coup de caméra à l’épaule, déploie une énergie folle cherchant à saisir tout ce qui l’entoure, use parfois avec talent du hors champ.
Au cours de ces neuf heures s’échelonnant sur une longue période de temps, on a rien de moins qu’une floppée d’observations sur la façon dont le régime en place encourage les ouvriers à acheter des actions et tente de leur donner foi dans le libéralisme économique, sur la dureté de leurs conditions de travail, sur la façon dont leur santé est mise en danger par leurs conditions de travail, sur le monde des hopitaux du Nord de la Chine, sur l’évolution des rapports hommes/femmes en Chine, sur les frustrations masculines dans le domaine sexuel et sentimental, sur la libération des mœurs –l’hilarant dialogue sur l’échangisme-, sur les privatisations vues comme un remède miracle à tous les problèmes économiques, sur la précarité –les saisonniers-, sur la marginalité –le vieillard sympathisant avec le monde du ferroviaire-, sur une jeunesse cherchant à se donner une contenance à coup de costards et de clopes, sur la difficulté d’obtenir sa paye, sur l’avenir bouché quand on a pas le niveau d’études suffisant, sur les ventes de rue à la sauvette, sur les loteries exploitant les reves de richesse suscités par la société libérale, sur l’endoctrinement d’un peuple pour qu’il accepte sans broncher les changements économiques, sur les conséquences de la révolution culturelle et des réformes des années 80, sur la nostalgie ouvrière d’un passé glorieux de l’industrie de leur région.
Le film commence tout d’abord par enregistrer dans toute sa précision et à tous ses stades le travail ouvrier à l’usine dans son exécution, ses pauses, ses à cotés et ce jusqu’à la fermeture des usines puis s’attache au destin des anciens ouvriers avec ses surprises et leurs soucis de santé avant d’acquérir une autre dimension lorsqu’il décrit la vie quotidienne, intime dans la ville voisine et place la question de la disparition d’une industrie dans celle plus large des transformations de l’espace urbain (disparition de logements afin que les investisseurs privés puissent reconstruire une ville moderne) avec les questions de relogement, de disparition d’une page de la vie des habitants que cela implique. Enfin, après l’enregistrement de cette disparition, le film revient vers le monde des rails en offrant une vue du travail industriel cette fois du point de vue des cheminots déplaçant des matières premières en offrant une forme de Post Scriptum, de complément aux parties précédentes au travers d’une figure intégrée à cet univers –il est accepté par les cheminots- tout en étant marginale qui va finir par reconstruire quelque chose (une nouvelle communauté formée d’amis) hors de ce monde qui disparaît contrebalançant le pessimisme des parties précédentes en montrant que malgré la disparition physique il reste encore un peu de ce passé.
La limite, c’est qu’en l’état –son montage original présenté à Berlin était de cinq heures avant que le film trouve des soutiens pour etre monté plus longuement- le film est beaucoup trop long –d’une heure trente environ, ce qui n'est pas beaucoup en proportion par rapport à sa durée mais finit par peser lorsque comme moi on découvre un tel film d’un coup en une journée, surtout quand le trop long est concentré sur la troisième partie du film-, qu’il devient moins palpitant lorsqu’il décrit la disparition d’un espace urbain que lorsqu’il s’attache au quotidien plus prosaique des personnages, que la dernière partie, si elle redresse nettement la barre par rapport à la partie du film consacrée à cette disparition, ne contient que peu de très grands moments de cinéma –le dialogue sur l’échangisme cité plus haut-.
On a donc un film qui compte, la révélation éclatante d'un cinéaste chinois qui compte dont on suivra avec intérêt la suite du travail et notamment ses projets de fiction mais qui avec une durée plus raisonnable aurait pu etre un chef d’œuvre du documentaire et pas seulement un beau film pas totalement à la hauteur de ses nobles ambitions. Peut etre parce que c'était une première oeuvre d'un cinéaste qui n'a pas encore assez de "métier" en tant que documentariste pour faire le tri dans une quantité filmée titanesque comme avait pu le faire Rithy Panh avec S21. Là c'est juste une de ces oeuvres qui n'ont pas besoin d'etre parfaites pour etre marquantes, touchantes, obsédantes, importantes...
Note Globale d'Estime: 4.5/5
Notes séparées:
Rouille I: 5/5
Rouille II: 4.5/5
Vestiges: 2/5
Rails: 3.5/5
Passionnant pendant 4 heures, ennuyeux pendant 5 heures…
Critique portant sur les quatre parties
Oser réaliser un documentaire de 9 heures sur un sujet quelconque, c’est le placer à importance égale de la shoah et de son documentaire éponyme signé Claude Lanzmann, qui dure également 9 heures. Un pari risqué donc, qui frise d’emblée la prétention artistique. Oser présenter au monde un visage de la Chine aussi inattendu et à contre-courant est tout aussi risqué, car subversif et politiquement incorrect : cette Chine qui s’éveille à la démocratie et à l’économie de marché et qui, de loin, ressemble à un nouvel eldorado, est-ce aussi cette Chine qu’on nous montre ici, celle de la précarité, de la mauvaise gestion financière conjuguée aux mauvais choix de management, celle du mépris des ouvriers malgré sa longue culture communiste, du gâchis, de la pauvreté et du malheur ?
Avec une telle ambition, Wang Bing était au pied d’une montagne infranchissable, au pied d’un Everest à gravir sans bouteille d’oxygène et surtout sans filet de sécurité. Son choix d’investigation, tout aussi réfléchi qu’improvisé, est heureusement à la hauteur. Il se caractérise tout d’abord par une extrême simplicité matérielle et humaine : l’équipe du tournage est composé de Wang Bing et… c’est tout. Lui seul, derrière sa petite caméra numérique, son direct sans ingénieur du son, sans perchiste, sans même un ajout de micro sur la caméra, tout simplement : un documentaire presque à la portée de tout le monde, mais avec une vision d’auteur et un travail sur la durée (3 ans passés avec les ouvriers du complexe industriel qui frôle le million d’individus) qui le rend totalement professionnel. Cette méthode de travail porte ses fruits à l’écran : l’amateurisme créé par la caméra vidéo et par certains plans surexposés, tremblants, zoomés maladroitement n’est finalement pas grand-chose comparé à la sincérité, à la justesse, à la Vérité – si tant est qu’elle existe – qui se dégage des réflexions, mouvements et réactions des hommes et des femmes filmées. C’est simple, rarement on a vu sur grand écran des gens se livrer avec un tel naturel, livrer à la caméra leur corps dans sa nudité, sa folie, et livrer leur âme dans ses revendications, ses dénonciations, sa douleur, sa joie, son fatalisme. Tel un magicien, Wang Bing a réussi quelque chose de remarquable : faire disparaître la caméra d’un tournage et laisser laisser l’action s’enregistrer toute seule…
Mais malgré cette prouesse aussi bien technique qu’artistique, les 3 parties de A l’Ouest des Rails sont très inégales, ce qui gâche grandement la démonstration théorique du tout. Ce documentaire vaut en fait principalement pour sa première partie, Rouille, dont le processus de construction narrative est tout bonnement implacable. Sur 4 heures, Bing prend d’abord son temps pour présenter le site industriel, les usines, leurs activités, et les ouvriers qui font vivre le site : plans séquences hypnotiques de la géographie des lieux à bord d’un train, images de fabrication, d’assemblage, de chauffage, de stockage,… Tout en laissant son spectateur se familiariser avec l’endroit, il insère alors une lente tension dramatique provenant de l’incertitude des ouvriers en l’avenir : l’oxydation avant la rouille. Commence alors un portrait terrifiant d’une usine en fin de vie, sorte de gigantesque navire sans capitaine ni gouvernail (Bing a d’ailleurs tourné pendant tous ces mois sans aucune autorisation !), ouvriers livrés à eux-mêmes, salaires non payés, menaces de licenciements, tout cela obéissant à une irréversible restructuration économique du pays qui laisse peu d’espoir. A la fin de la première partie, on est assez soufflés par la démonstration, et surtout par l’aspect totalement universel de ce qui se passe : de tels évènements ont du se produire dans tous les pays depuis au moins 2 siècles, et à travers un cas particulier contemporain, on tourne également une page d’histoire, celle par exemple de la fermeture des mines de charbon ou des usines textiles / sidérurgiques en France durant les précédentes décennies.
On se demande alors de quoi Bing va bien pouvoir parler durant la deuxième partie de Rouille, et on est au final encore plus bluffés : ce qui n’était que menaces et incertitudes devient réalité devant nos yeux, l’usine périclite, les factures de gaz et d’électricité trop élevées contraignent les ouvriers au chômage technique en hiver et à la réparation des canalisations explosées lors des premiers beaux jours, puis l’usine ferme définitivement, est laissée à l’abandon, lentement démontée, désintégrée, comme si elle n’avait jamais existée. C’est bouleversant.
Les deuxième et troisième parties de A l’Ouest des rails sont bien moins convaincantes : le choix d’un point de vue borné à celui des ouvriers sans aucune confrontation avec l’autre bord, à savoir le patronat, l’administration ou le gouvernement était justifié dans Rouille, mais dans Vestiges et Rails, il devient une option de facilité. Confortablement caché derrière son objectif, Bing filme la destruction d’un village puis le spleen de cheminots sans prendre part à l’action, et cela tourne bien souvent à vide : il s’attarde pendant une heure sur des discussions quotidiennes banales et stériles de villageois sans qu’on en retire grand-chose, et ça devient aussi pesant que le pire des Hou Hsiao Hsien ; il multiplie les travellings à bord de trains sans qu’on sache vraiment où il veut en venir ; il se penche sur l’amourette d’un vieux cheminot sans trouver matière à un dénouement, qui paraît très, très long à venir. Bref, il manque à ces 2 dernières parties un monteur qui n’ait pas peur de couper les scènes inutiles, et qui aurait pu faire passer le tout de 5 heures à 2 heures sans qu’on y perde au change : plus de rythme, plus de sens, plus de stimulation, pour plus de plaisir tout simplement. Certes, il doit être dur de se séparer de plans qui s’étendent sur 3 ans de tournage, mais ce n’est pas une raison…
Note Globale d'Estime: 3/5
Partie 1 : 4/5
Partie 2 : 4,5/5
Partie 3 : 1/5
Partie 4 : 1,5/5
Des ruines et des hommes.
Critique portant sur les 4 parties.
Ce film documentaire accompagne en trois grandes parties (9h au total!) la faillite et la décomposition croissante du gigantesque complexe industriel de Tie Xi, dans la ville de Shenyang au nord-est de la Chine.
La première partie, ROUILLE, s'attache au complexe industriel lui-même, à ses usines (de plomb, de zinc, de câbles) et à ses ouvriers. La seconde, VESTIGES, suit l'abandon progressif d'un quartier environnant voué à la démolition que les habitants acceptent mal de quitter, pour être relogés tant bien que mal dans des appartements neufs. La dernière partie, RAILS, suit les traces de la ligne de chemin de fer du complexe, au quotidien de ses cheminots et de son petit univers interlope fait de magouilles diverses et marqué par une étrange obsession du charbon...
On tient là un film unique, forcément unique. De par son ampleur, son propos et ses choix.
On a affaire à un film géomancique, décrivant en temps réel cet énorme complexe rampant doucement vers la ruine comme un organisme vivant, certes en décomposition, mais bien vivant.
Les trois parties se succèdent dans une structure sérielle dont chacune hérite du même mode: filmer d'abord la vie quotidienne des dernières cellules vivantes s'accrochant à leur univers, puis l'annonce de la destruction programmée de cet univers, et enfin les conséquences de cette fin sur les hommes...
Les trois parties sont cependant loin d'être indépendantes (contrairement à ce qu'affirme le commentaire au dos du coffret dvd), puisqu'un principe de vases communicants régit leur ordonnancement : c'est bien la mort des usines qui annonce celle du quartier dans lequel vivent les ouvriers des dites usines, ou ceux qui gravitent autour du complexe et vivaient grâce à lui, et c'est bien la même mort du complexe qui explique la troublante nonchalance des cheminots de la partie RAILS, et de son réseau en désuétude tournant presque à vide pour relier des corps désintégrés (Les cheminots, espèce qui semble à part dans ce monde en miniature qu'ils observent de l'oeil perçant des vieux matous -ceux à qui on ne la fait pas-, les nomment par leurs numéros: usine 14, usine 36 ou la généreuse usine 68 et ses "gisements" de charbon) d'où ne suinte plus -lorsqu'il n'est pas déjà complètement tari - qu'un mince filet de matériaux à transporter.
De cet organisme, donc, on nous montre la coquille en déréliction et les dérisoires globules sanguins qui s'agitent encore dans ses vaisseaux et continuent d'accomplir leur tâche ou ce qu'il en reste (ils se plaignent la plupart du temps de ne plus avoir assez de travail et de devoir passer le gros de leur journée à ne rien faire sinon satisfaire au démon du jeu, omniprésent via les cartes et le Mahjong), mais étrangement, le cerveau est absent. On ne saura jamais ce qu'ont dans la tête les dirigeants de ces usines, les membres du parti hauts placés qui régissent ce secteur de l'industrie publique (car toute cette masse relève bien de l'administration publique, ce qui rend d'autant plus hallucinant le spectacle de cette désolation progressive et du dénuement total dans lequel vivent ceux qui la servent!), voire les promoteurs qui organisent le reclassement du quartier dans la seconde partie.
Et c'est dans ce parti-pris que résident toute la force et les limites du film.
Wang Bing choisit de poser la caméra (le terme est mauvais, car on a rarement vu une caméra aussi peu statique, suivant les hommes partout, s'infiltrant dans les plus improbables recoins pour toujours réfléchir au plus juste ce qui reste de ce bourdonnant essaim humain) dans un espace géo-temporel défini (Tie Xi de 1999 à 2001): les hommes et le récit entrent dans cet espace, puis en ressortent, et on n'en verra rien d'autre. On ne sait pas ce que deviennent les ouvriers des usines qui ferment les unes après les autres, on ne sait pas ce que les familles recasées pensent de leurs nouveaux appartements, qu'on ne verra d'ailleurs pas, on n'entendra jamais l'avis des décideurs et des éminences grises "d'en haut", aucune précision didactique ne viendra nous aider à comprendre ce qui se déroule -d'une manière pourtant pleine et précise- sous nos yeux.
Pas de voix off didactique et/ou moralisatrice, pas de musique, pas de chantage émotionnel (au contraire, la seule scène qui aurait pu prêter à de telles effusions, celle des retrouvailles entre un père sortant de prison et son fils en larmes est complètement désamorcée, retournée au moment où le fils, complètement saoul, cherche à battre le père juste après s'être effondré à ses genoux), pas de recul, peu d'explications (à part celles que ne se privent pas d'assener "ceux d'en bas", ouvriers, délogés, cheminots et marginaux qui eux sont bien dans le cadre du film, et nous donnent juste assez d'indices pour imaginer le reste: les actions ou les appartements qu'on les pousse à acheter, la corruption rampante, le mépris total dans lequel les tiennent les "élites", et finalement l'énorme et sourd tournant du pays vers le libéralisme, qui laisse au bord de la route, hébétés et comme saoulés de coups, tous ceux qui déjà bien en peine d'assimiler les anciennes règles, celles du maoïsme et de la révolution culturelle- qu'ils ressassent souvent- sont incapables d'en assimiler les nouvelles).
D'en "haut", on ne verra donc que les ombres menaçantes des nouveaux immeubles tout au bord du cadre qui filme le quartier dévasté, la porte d'un commissariat qui se referme après une brève discussion pratique avec un maton, ou un contremaître indolent qui somnole, aligne quelques mots avant de retourner dans son mutisme...Pour le reste, il faudra se fier à la sourde rumeur colportée par le "petit peuple" du film...
En échange, on gagne une proximité et une force peu communes avec cet univers de ruines, à travers aussi le temps pris à montrer les hommes : tout ce qu'on voit, et on voit beaucoup, et longtemps, est vérité d'un monde à des années lumières de l'imagerie qu'on nous vend depuis quelques années d'une Chine Nouvelle bardée de progrès et de technologies sous cette -autre- "bannière étoilée" affublée du slogan surréaliste "un pays deux systèmes".
Le fossé est abherrant entre ce monde urbain policé qu'on ne verra jamais ici et cet univers moyen-âgeux, à cheval entre les époques, dont on se demande bien si ses habitants arriveront à sortir un jour, et vers quoi? Finalement, qu'a-t-on de plus que ces hommes perpétuellement au bord de la faillite physique, mais qui n'abandonnent jamais, qui ne se départissent jamais de ce sourire si difficile à comprendre pour le spectateur occidental habitué aux élans hypocrites d'une commisération misérabiliste? l'humour, le rire, même dans la mort, quand ces ouvriers ramènent sur un brancard le cadavre d'un collègue noyé au petit matin dans l'étang de l'hôpital ou il était parti pêcher... On se dit alors qu'on a encore bien du chemin à faire pour comprendre cet autre monde...
Finalement, devant ce film fleuve qui d'ailleurs s'écoule comme un fleuve, dans un rythme fait d'évolutions lentes et de brusques soubresauts, de petits évènements qui mis bout à bout font l'histoire, très loin d'une logique cinématographique et scénaristique avec son introduction, son climax et sa chute, on se sent respirer, au même rythme que lui.
Et ce rythme n'est pas lent, c'est bien le rythme humain, celui des pas de l'homme, et il fallait 9 heures pour le retranscrire convenablement. 9 heures qui voient passer devant la caméra un nombre incalculable de "personnages", qui tous ont le temps d'y exister, de s'exprimer, et dont les dénominateurs communs sont ceux d'hommes bien vivants: fumer, boire, jouer , cracher, bâfrer, jurer, marchander, flirter, hurler...vivre donc, et si possible bruyamment et bordeliquement, car après tout, nous sommes en Chine.
Mais nous sommes surtout dans une échelle qui dépasse de très loin celle de la fresque historique à grand spectacle: on n'a jamais affaire ici à des figurants mais toujours à des êtres bien réels, et dans un cadre qu'on ne pourrait soupconner à aucun moment d'avoir été romancé, retouché.
Effectivement, on ne s'ennuie jamais devant cette oeuvre interminable qui paradoxalement va toujours à l'essentiel, et on réalise à nouveau que les plus grands récits sont finalement toujours les plus simples: ceux qui s'attachent à l'homme, et non aux héros désincarnés qu'on nous vend à tour de bras par pleins lots promotionnels (puisqu'en la matière il semble qu'on soit entrés dans une époque de soldes perpétuelles). Les évènements prennent alors une autre dimension, et certaines scènes se révèlent d'une force d'évocation infiniment supérieure à tout ce que la science-fiction aura jamais à proposer : voir ces bureaux d'usine littéralement pris dans les glaces, les ouvriers l'attaquer au marteau piqueur au printemps pour pouvoir retourner travailler (on les avait tous congédié pour l'hiver: plus d'argent pour payer le chauffage de l'usine); voir ces employés licenciés attendre leur solde avec des vieillards venus chercher -comme chaque mois- leur retraite en liquide, alors que quelques mètres à coté la démolition de l'usine a commencé le jour même. Voir ce vieillard prendre sur son dos son fils bourré jusqu'à la gueule pour le ramener chez eux... Voir ces ouvriers rondouillards en cure forcée à l'hôpital (intoxication au plomb) s'ennuyer ferme devant la projection d'un film porno, et le lendemain ramener rigolards de l'étang voisin le cadavre d'un collègue, pêcheur d'un jour trop téméraire... Et, le reste du temps, voir tout ce joli monde s'agiter dans les ruines de ce qui jusqu'alors délimitait les contours désormais bien flous de leurs vies...
Par son choix d'effectuer une radiographie d'un espace humain dans un cadre géo-temporel strict, sans rien en retrancher mais surtout sans rien y ajouter, le film ainsi perd le pari de l'investigation, de la dénonciation ou de l'engagement politique. Mais ce pari, peut-être ne l'avait-il pas tenté, lui préférant celui, infiniment plus risqué, de réfléchir de manière pure une fraction d'humanité, à un moment donné, dans un lieu donné. Et c'est ce
fragment pur qui restera, dans l'esprit du spectateur, comme un grand moment de cinéma.
très bonne entrée en matière
ce premier volet est très intéressant, bien sûr il faut s'attendre à quelque chose qui prend son temps, ça n'a rien à voir avec un docu tv de 52 minutes, ici on est plus dans une sorte de "strip tease", sans commentaire, mais sur une durée plus longue qui permet de s'immerger dans l'univers quotidien de ces sans grades de la mutation économique chinoise. ce premier volet je le qualifierait d' "ambiant" par certains aspects hypnotiques et s'il fallait en retenir qu'un, ça serait celui ci et sa suite rouille2., quasiment indissociable.
la suite commence à poser problème car beaucoup trop longue, moins concise dans le propos, on sent WANG bing en roue libre, un peu comme ces chomeurs obligés de quitter leur bidonville. tout n'est pas à jeter, même ce qui n'a pas de rapport direct avec le complexe industriel, on y voit le quotidien des habitants, jeunes ou moins jeunes, qui n'intéressera surement pas tout le monde mais qui parlera à ceux ayant vu ce genre de quartiers. néanmoins cela méritait beaucoup plus de coupes au montage, pour ainsi éviter des divagations ou il est dur de rester éveiller. pour ces deux dernières partie la durée aurait pu etre divisée par deux à mon avis.
cette initiative est quand meme à féliciter, WANG bing nous offre un docu inédit, imparfait mais indispensable.
(interdit en Chine mais disponible quand meme dans les magasins de dvd pirates).
partie1: 4
partie 2: 4
partie 3: 2,25
partie 4: 2,25
Partir un jour...
Ouverture de l'ambitieux documentaire fleuve de Bang Ling sur la disparition de tout un pan de l'ère industrielle chinoise.
Long, très long, il faut endurer la mise en jambes du laborieux trajet du train en guise d'ouverture, voyage initiatique qui traversera les quatre parties et trouvera son aboutissement (laborieux) dans la troisième (ou plutôt quatrième) partie "Rails". Il faut s'acclimater à cette inexorable lenteur des premiers montages enregistrées et montées à la serpe. Des plans, qui enregistrent le quotidien, une tranche de vie toute simple. Puis arrivent les premiers moments passés entre les ouvriers - et au documentaire de déployer sa véritable force hypnotique et d'exercer son entière fascination.
Car les longs intermèdes du train sont définitivement de trop; une fois le trajet de l'étendue du terrain parcouru, il n'aurait pas fallu caler les images répétées tout au long des parties; de même que pour les tâches fastidieuses des métiers en train de disparaître. Sûrement un fascinant témoignage dans un proche futur quant à des métiers condamnés à disparaître très prochainement, ces images auront l valeur des films du japonais OGAWA - ayant la me^me tendance à faire durer ses plans pour filmer au plus précis le quotidien et la durée des choses; en même temps, BING Wang ne peut se résoudre à arrêter la caméra; à faire le choix dans ses heures de pellicule tournées et de montrer des mêmes plans sur les mêmes actions répétées à plusieurs reprises tout au long du documentaire.
La véritable force constitue donc en ses simples paroles échangées entre ouvriers. Instants volés, parfois ils se confient à la caméra et révèlent ce qui est pour eux un dur quotidien, mais qui semble pour nous au-delà de toute compréhension : comme le fait de respirer un air pollué en particules de cuivre toxiques, 100 fois plus élevé que la moyenne nationale; et de devoir passer 2 mois par an à l'hôpital pour récupérer. D'attendre à ce qu'on veuille bien leur verser un salaire dû depuis des mois. De soulever des sacs de 90 kg.
La tension est palpable, comme dans cette scène, où un ouvrier ivre s'attaque à un collègue; parfois aussi attendrissant, comme lors du karaoké entamé au Nouvel An.
Les quatre parties du documentaire présentent de petites histoires de quelques étrangers, qui représentent à eux seuls tout un pan de l'actuelle population chinoise. Et de mettre à nu des âmes humaines, comme "Striptease" ne saurait jamais le faire.
En cela, le (bien trop) lent documentaire de BING Wang est passionnant; il aurait juste suffi de raccourcir les trop longues parties pour en faire un chef-d'oeuvre du documentaire historique.
Un doc social, une réalité très sombre... mais ennuyeux !
La réalité d'un éfondrement industriel basé sur l'ancien communisme maoïste. Alors oui c'est suffocant, ça fait prendre conscience d'une autre Chine bien trop peu souvent montrée aux occidentaux et aux chinois eux-mêmes, mais bon 15min auraient suffit... et là Wang Bing nous pond sa vidéo de 9h coupée en 4 parties de plus de 2h ! Pas de montage, c'est la TV réalité d'accord, mais pour moi c'est beaucoup trop long et donc sans intérêt le reste du temps.
Et puis n'oublions pas de rappeler qu'il s'agit d'un pur doc, et non pas d'un film classique (je dis ça pour ceux qui s'attendaient comme moi à du cinéma avec "Rails").