Cette ravissante comédie satirique nippone est aussi délicate qu’épicée. Le sulfureux Itami Juzo poursuit son étude des mœurs nipponnes en envoyant un vilain pied de nez aux personnes influentes du pays, riches hommes d’affaires et autres hommes peu scrupuleux bien désireux de s’offrir les services d’une femme porte-bonheur. Nayoko est la femme en question. Comme dans le besoin de faire ressentir l’énergie spectaculaire du film dès son introduction, le cinéaste ne s’embarrasse d’une quelconque longueur typique d’un biopic fictionnel en évoquant l’enfance de Nayoko, depuis son abandon jusqu’à son métier de geisha, en deux trois minutes à peine. Les choses vont vite, très vite, à la manière du parcours particulier de cette femme qui deviendra bientôt l’une des courtisanes les plus recherchées du pays. Conseillée par un homme d’affaires spécialisé en rencontres arrangées, la voilà aux mains d’un vieil homme atypique, reconnaissable par son cache-œil et ses longs cheveux blancs, souffrant et désespéré en affaires. Elle lui apportera réconfort et chance. Mais en parallèle, Suzuki, un homme d’affaire rencontré maladroitement dans les transports surchargés, tombera amoureux de cette dernière. Les deux hommes vont s’arracher Nayoko à leur manière, entourés de parasites.
Ces parasites, Itami Juzo les filme avec son style si particulier. Mais ces bourgeois aux lunettes fumées, Pasolini aurait pu les filmer avec sans doute davantage de noirceur et d’impact, Itami Juzo les tourne quant à lui en dérision. Ils sont ridicules, parlent et évoluent avec la douceur d’un pachyderme obèse. Il y a bien le maladroit et terriblement amoureux Suzuki, joué par le génial Tsugawa Masahiko, qui de par sa naïveté et son admiration pour Nayoko, arrive à être touchant à force d’efforts. Ceci dit, personne ne lui enlèvera ses coups bas, il collectionne en effet les femmes avec un sens de la gestion qui force à la fois le respect et l’indignation. Mais son histoire d’amour délicate avec Nayoko en fait l’un des personnages les plus appréciables. Reste que ces soi-disant personnages influents finissent par devenir incapables de gérer quoi que ce soit lorsqu’ils sont abandonnés, anéantis. Le cinéaste finit donc par transformer la noirceur de son propos en une espèce de fête tourmentée, loin d’être élégiaque, et dont la mise en scène très travaillée souligne à merveille le propos, notamment lors du cauchemar de Suzuki, visuellement superbe. Sans être l’un de ses meilleurs films, A-Ge-Man reste cohérent avec l’œuvre du cinéaste.
"A-Ge-Man" signifie " femme qui apporte la chance aux hommes qu'elle rencontre".
L'héroïne est donc un porte-bonheur déguisé en geisha, mais sa vie n'est paradoxalement pas très heureuse, car les hommes se servent d'elle comme d'un vulgaire mouchoir. De déceptions amoureuses en trahisons, elle traverse avec courage ces épreuves difficiles.
Interprété par la charmante Nobuko Miyamoto, actrice fétiche du trop méconnu Juzo Itami, cette chronique se déroulant à travers différentes époques de l'Histoire du Japon est filmée de manière énergique et sans temps morts, traitée souvent avec délicatesse et avec beaucoup d'humour, même si l'amertume apparaît toujours en filigrane.
On découvre en même temps les moeurs de cette culture nippone célèbre par son raffinement, et l'on apprend ce qu'est vraiment le métier de Geisha: non, ce n'est pas une simple prostituée!
Juzo Itami fait appel à son actrice fétiche Nobuko Miyamoto pour interpréter cette fragile geisha qui se révèle aussi et par la force des choses, plutôt forte.Déjà avec "TAMPOPO",puis pour d'autres films dont "L'avocate" , il choisira cette adorable comédienne,entourée d'une troupe d'acteurs fidèles et talentueux.
Ce film est vraiment original, pas tant dans sa construction que dans son histoire à travers différentes époques ,l'occasion pour un occidental de découvrir des pans de la culture nippone;mais surtout pour le ton employé,empreint d'une douce mélancolie,voire d'amertume,derrière l'ironie ou le pur comique des scènes successives.
Juzo Itami laisse percer cette sensibilté à travers toute sa filmographie,et il ne serait que temps de réhabiliter son oeuvre trés mésestimée pour ne pas dire inconnue chez nous à part "TAMPOPO".Par sa légèreté, sa distance ,son élégance, elle traite des moeurs contemporaines nippones avec une justesse et une précision que bien des cinéastes branchés et adulés peinent à approcher.Le cinéma de Juzo Itami,aujourd'hui disparu, possède une force certaine,sous les rires se cache un désenchantement profond:cette dualité rend sa filmo passionnante,il en va ainsi de cet "A-Ge-Man" particulièrement réussi et plein de charme.