J – Pouvez vous commencer par nous dire tout simplement comment vous en êtes venu au cinéma ? T – J'ai toujours adoré le cinéma et du fait que je connaissais quelqu'un dans le milieu, il n'a pas été très difficile pour moi d'y rentrer et de commencer à y travailler. J – Vous êtes connu pour être le réalisateur de studios par excellence. Dans quelle mesure vous épanouissiez vous dans ce système ? A quel type de contraintes étiez vous confronté ? Et quand dans les années 60 le cinéma indépendant a explosé, n'avez vous jamais eu la tentation de vous y essayer ? T - Pour ce qui est des contraintes, il y avait en premier lieu le casting qui nous était imposé par le studio. Il est courant que je me sois retrouvé à utiliser des acteurs dont je ne voulais pas. Par ailleurs, il arrivait malheureusement fréquemment que le département Marketing du studio décide de réécrire un scénario, de peur que le film ne fonctionne pas suffisamment bien. Sinon, au delà des budgets qui étaient bien sûr assez limités, il y a certaines obligations dont je garde un assez mauvais souvenir. Il fallait par exemple régulièrement « inventer » des aventures amoureuses à nos stars pour que le public parle de celles ci. On nous obligeait en outre à aller assurer la promotion de notre film chez les exploitants en allant à la rencontre du public. Il était courant qu'un de mes acteurs soit contraint de monter sur scène avec quelqu'un pour présenter le film. Il y avait pas mal d'impératifs très bêtes auxquels nous devions nous plier. La manière de penser des exploitants et des producteurs est vraiment très différente de celle des créateurs. Si j'avais travaillé dans le cinéma indépendant, j'aurais bénéficié d'une tout autre liberté. Le destin a voulu que j'oeuvre au sein des studios, il en a donc été ainsi. J – Apparemment il y a des exceptions dans votre carrière puisque vous dites avoir eu une certaine liberté sur un film comme Horror of a deformed man. Si cela était arrivé plus souvent, quel type de films auriez vous aimé faire ? T – Il y a tellement de films que j'aurais aimé avoir fait qu'il serait absurde d'essayer de les citer. Mais à propos d' Horror of a deformed man, en fait si j'ai pu décider librement de mon sujet c'est parce que la société avait épuisé tout le filon des films autour des déviances sexuelles. Ne sachant plus quoi faire, elle s'est tournée vers moi. C'est alors que j'ai suggéré l'adaptation d'un texte d'Edogawa Ranpo qui est un auteur que j'apprécie particulièrement. Les producteurs n'y croyaient pas au départ, mais se retrouvant véritablement en panne d'inspiration, ils ont bien été obligés de céder et m'accorder leur feu vert. J'ai donc pu tourner le film que je voulais. Ce n'est qu'après le tournage, quand le film a été visionné par la section Marketing du studio que j'ai commencé à avoir des problèmes. Ils ont visiblement été dégoutés par le film, ils ont interdit sa sortie et je dois dire qu'ils m'ont assez mal traité. J – A propos justement de ce film en particulier qui est très étonnant en bien des points, on connait bien sûr la cause de son bannissement, le fait que vous vous soyez attaqué au tabou de la représentation des malformations physiques, mais il y autre chose qui m'a surpris, c'est l'utilisation du buto (que l'on retrouve aussi dans l'un ou l'autre de vos films). Comment en êtes vous venu à utiliser un tel art d'avant garde dans le cadre d'un cinéma de studio a priori plutôt conventionnel ? T – En fait à cette époque, la société
ne se préoccupait absolument pas du tournage des nouveaux films.
Alors le fait que j'ai largement intégré du buto parce
que j'avais fait la rencontre d'Hijikata son créateur, elle l'a
à peine remarqué, et c'était vraiment mon affaire
! J – Pour revenir à une perspective plus globale autour de votre carrière, on se doit de vous demander dans quel genre vous vous êtes senti le plus à votre aise et dans lequel vous avez l'impression d'avoir mieux le pu exprimer votre cinéma. En effet, vous avez travaillé dans presque tous les genres possibles et imaginables, le film de superhéros, de motards, le yakuza-eiga, le film catastrophe, le pinku-eiga, le film de tortures...etc T – Je ne sais pas vraiment. En fait je suis toujours à la recherchedu genre qui me vonvient le mieux. En fait, si je devais un jour trouver un genre de prédilection, cela signerait la fin de ma carrière. Ce qui me fait continuer encore le cinéma aujourd'hui, c'est que je n'y ai jamais trouvé tout à fait ce qui me correspondait. Je suis en perpetuelle recherche. Le cinéma est un peu pour moi comme une femme qui me tromperait à chaque fois. Le jour où elle cessera de me tromper, je n'aurais plus rien à faire au cinéma. J – Ce qui est fou c'est que vous êtes parvenu à traverser tous ces genres en laissant à chaque fois votre empreinte, on associe forcément votre nom à la série Abashiri Bangaichi qui est l'une des plus populaires de l'histoire du yakuza-eiga, votre série Joy of Torture est LA série classique du genre, et j'en passe... T – Ce que vous me dites me flatte mais très franchement, je n'ai pas vraiment l'impression d'avoir marqué l'histoire du cinéma japonais comme d'autres ont pu le faire. Sincèrement, je ne trouve pas à mes films l'importance que l'on peut leur conférer en Occident. J – Reste tout de même que c'est vous qui avez popularisé quelqu'un comme Takakura Ken... T – C'est vrai mais vous savez, il a aussi joué dans d'autres films très différents des miens... J – En restant au registre des acteurs, vous avez collaboré avec une pleiade de stars du cinéma nippon : Tsuruta Koji, Ando Noboru, Sonny Chiba, Takakura Ken, Kaji Meiko... Pouvez vous nous parler de votre collaboration avec ces acteurs ? Aimiez vous avoir des stars dans vos castings ? T – Vous savez, chaque vedette était très différente des autres. A titre d'exemple, je vais vous parler d'Ando Noboru. C'est un ancien véritable yakuza, il occupait une position vraiment importante dans un clan. La première fois que j'ai travaillé avec lui c'est sur le tournage d'Abashiri Bangaichi. C'était déjà une star à l'époque. Il avait gagné ses galons de vedette à la Shochiku et il avait pris l'habitude des égards de son statut. Ainsi il était tout le temps entouré de personnes qui l'admiraient, le congratulaient et le traitaient comme un dieu. Pendant mon tournage, il n'était vraiment pas satisfait. Nous tournions dans la neige et à cause de contraintes dûes à la météo, il fallait que nous donnions la priorité aux plans sur les décors et les paysages. Il nous est donc arrivé de le faire patienter pendant quatre ou cinq heures sans le faire tourner. Cela l'a mis en colère et il est retourné à Tokyo. De notre côté, on n'y a pas prêté une grande attention mais au siège de la société, à Tokyo, ce scandale a fait énormément de bruit. Moi je me suis simplement dit qu'heureusement j'étais scénariste du film et je me suis contenté de modifier le script afin que nous n'ayons besoin d'aucune scène avec Ando Noboru. Je pensais ne plus jamais le revoir mais quand nous sommes retournés à Tokyo pour y tourner quelques scènes, il y est réapparu. C'est alors que j'ai à nouveau apporté des modifications au scénario pour qu'il apparaisse dans ces scènes là. Depuis ce jour là nous avons commencé à nous revoir et encore aujourd'hui c'est l'un de mes meilleurs amis. J – Après le faste des années 60-70, le cinéma japonais a connu sa grande crise dans les années 80. Qu'avez vous fait pendant cette période ? Comment l'avez vous vécue ? Avez vous travaillé à la télévision comme beaucoup de vos collègues ? T – J'ai tourné un tout petit peu à la télévision. A l'époque on faisait surtout des films autour de le famille et des valeurs japonaises, mais je n'ai jamais fait ça. J'ai au contraire profité de l'occasion pour y tourner quelques films de suspense, ce qu'on ne m'avait jamais proposé de réaliser au cinéma. Mais sinon, durant cette période, je me suis surtout reposé des années précédentes qui avaient été autrement plus agitées. J – Quand vous avez retrouvé le cinéma dans les années 90, comment était il ? Avait il changé par rapport à votre souvenir des années 70 ? Vous vous intégriez à ce nouveau cinéma ? T - Vous avez raison, quand je suis vraiment revenu au cinéma au début des années 90, cela a été très dur. On m'avait proposé de tourner un film autour d'un chanteur célèbre The Hitman. Malheureusement, l'équipe réunie autour de moi sur ce film était totalement incompétente. Voyant cela, j'ai eu envie de prendre ma retraite. Pour vous dire l'étendue du problème à l'époque, il y avait pénurie de bons techniciens de cinéma et donc n'importe qui ayant déjà travaillé sur un film pouvait être promu chef d'équipe ou à une autre haute fonction.Cela m'a sidéré et j'ai commencé à parler sérieusement de retraite à mon producteur qui m'a assuré pouvoir réunir des gens compétents. Il a tenu sa parole et j'ai donc retrouvé un entourage de travail de qualité comparable à celui que je connaissais à la grande époque des studios. J – Vous avez donc pu réaliser encore une demi-douzaine de films parmi lesquels un particulièrement intrigant qui n'est autre que votre remake du Jigoku de Nakagawa Nobuo. Pouvez vous nous en parler et nous dire quels rapports il entretient avec le film original ? T - Mon film est très différent de celui de Nakagawa comme vous pouvez vous en douter. En fait Nakagawa était parti du texte d'un poète qui fait une description très détaillée des enfers et des tortures que l'on y pratique. Il a puisé son inspiration dans certaines parties bien précises du livre sans rester forcément très fidèle au texte de départ. Il a tourné ce film de manière très moderne et en a fait un film assez admirable, encore aujourd'hui. En 1999, je travaillais sur un autre projet de film avec l'acteur Asano Tadanobu. Malheureusement quelqu'un d'autre était en train de monter une production très similaire donc mon idée a dû être abandonnée. Ensuite j'ai été obligé de prendre une décision rapidement si je ne voulais pas perdre les investisseurs que j'avais réunis donc j'ai eu l'idée de refaire une adaptation du même texte que Nakagawa, cette fois ci beaucoup plus fidèle au texte. Mon budget ne me permettait pas la représentation de l'enfer que je voulais mais une autre idée m'est vite venue. C'était à l'époque où l'on parlait beaucoup de la secte Aum et de ses attentats dans le métro de Tokyo. L'opinion publique avait déjà compris que le procès allait durer très longtemps et que les responsables et en particulier le gourou de la secte ne serait pas punis comme elle l'attendait à cause des nombreux avocats qui bloquait l'avancée du procès. Je me suis dit que si on ne pouvait pas les juger dans la vie réelle, il falait bien que ce soit fait quelque part et c'est comme cela que j'ai imaginé mon histoire. C'est comme cela que j'ai pu me démarquer du film de Nakagawa qui au final n'avait plus grand chose à voir avec le mien. J – Avez vous encore un projet aujourd'hui ? T – Oui, j'ai l'intention de tourner encore avec Takakura Ken et cela pourrait bien être mon tout dernier film. |